La chanteuse Mai Khoi pendant la visite du président américain Donald Trump à Hanoï, en novembre 2017. / STRINGER/AFP

Sur scène, son visage pâle se découpe dans l’ombre. Armée de sa guitare, accompagnée d’envoûtantes percussions et d’un saxophone, elle chante, dans un crescendo presque dissonant : « A l’intérieur ; tu as le temps de penser, tu as le temps de te repentir, de regretter (…) d’avoir été un traître à la nation, de maintenir le peuple dans le noir et de l’oppresser. » Le titre de la chanson : Camp de rééducation. Mai Khoi and The Dissidents est un groupe de free jazz basé à Hanoï, qui hérisse les partisans du régime vietnamien.

Une star de la pop

En mars, la jeune femme de 34 ans a été détenue pendant huit heures à son retour d’une tournée européenne. Son arrestation a fait les titres d’une partie de la presse internationale. En revanche, pas une trace dans les médias du pays. Le Parti communiste vietnamien (PCV), au pouvoir depuis la fin de la guerre en 1975, n’aime pas les frondeurs. Mai Khoi, interdite de concerts et de ventes de disques, doit sa survie à Internet. Pour autant, depuis quelques mois, Hanoï ne s’embarrasse plus de bonnes volontés démocratiques et a accéléré sa répression sur les blogueurs, militants et voix critiques, accusés de « propagande anti-Etat ». Le récent lancement d’une cyberunité de 10 000 hommes chargée de faire la guerre aux contenus indélicats n’est pas pour rassurer les militants des droits de l’homme.

Mai Khoi & The Dissidents in a dramatic crescendo as the police raid their show
Durée : 01:01

Dans ce pays de 90 millions d’habitants à l’économie florissante, la bande-son de la jeunesse est surtout composée de pop locale, de K-pop, ou d’Electronic dance music. Si Mai Khoi, avec ses morceaux contestataires, rencontre un écho, c’est qu’elle était déjà connue depuis plus de dix ans comme star de la pop. Formée au piano par son père, professeur de musique de la cité balnéaire de Nha Trang, elle démarre sa carrière en 2004 dans la pure tradition de la sirupeuse musique de karaoké : elle chantonne l’amour, dans des robes sexy, avec ventilateur dans les cheveux.

Mais, au début des années 2010, elle devient de plus en plus téméraire. Ses détracteurs raillent ses attitudes provocantes, son absence de port de soutien-gorge et ses paroles osées, à l’instar de Saigon Boom Boom où elle raconte le monde interlope de l’ex-capitale du Sud. Sa carrière bascule en mai 2016, lorsque, avec un petit groupe de militants, elle annonce sa candidature à l’Assemblée nationale. Une initiative rare pour une personnalité non issue du giron politique et qui lui vaut un entretien avec Barack Obama lors de sa visite d’Etat le même mois.

« Ils ont leurs armes et nous avons nos perches à selfie. » Mai Khoi

En novembre, nouveau coup d’éclat lors de la visite de Donald Trump. Sur le passage de sa voiture, elle brandit une banderole « Piss on you Trump ». Depuis, la chanteuse engagée est dans le viseur constant des autorités et a été placée sous surveillance constante.

Sur Facebook, elle n’hésite pas à diffuser la vidéo des agents en civil à sa porte qui tentent de l’embarquer. « Ils ont leurs armes et nous avons nos perches à selfie », s’amuse-t-elle. Au Vietnam, musique rime avec politique depuis longtemps. Après la réunification en 1976, l’Etat, désireux d’éradiquer la culture du Sud, jugée « réactionnaire », a pris le contrôle de l’industrie musicale, et nombre de musiciens sont partis en exil. Ceux qui restaient étaient envoyés en camp de rééducation, comme Trinh Công Son, le « Bob Dylan vietnamien ».

Le climat a beau s’être quelque peu détendu après les réformes en 1986, la musique n’est pas devenue un espace de liberté pour autant. Si Mai Khoi agace les autorités, d’autres musiciens ont dû quitter le pays. Comme le rappeur Nah, qui s’est installé aux Etats-Unis. En 2015, il s’est illustré avec un morceau au titre évocateur : F*ck Communism.

Par Eléonore Sok-Halkovich