Documentaire sur Arte à 22 h 20

Derrière une porte cochère bleue, un petit hall ouvre sur une cour fleurie nichée au centre d’un groupe de bâtiments à l’architecture classique, propre au XIXe siècle. Des habitants se croisent et se saluent, des enfants sautent à cloche-pied sur les pavés et, en tendant l’oreille, on peut entendre, ici ou là, un air de clarinette ou de piano s’échapper des fenêtres entrouvertes. Rien ne distingue particulièrement cet immeuble sis au 209, rue Saint-Maur, dans le 10e arrondissement de Paris, d’un autre. Rien n’indique non plus qu’il a été, pendant la seconde guerre mondiale, un refuge pour certains, un piège pour d’autres. Or c’est lui que Ruth ­Zylberman (auteure notamment de Paris-fantôme, 2002) a choisi d’investir pour retracer l’histoire de ses habitants et raviver la mémoire des survivants.

Un choix qui tient en partie au hasard de ses pérégrinations ­menées dans le Nord-Est parisien, lieu où avant-guerre vinrent s’installer de nombreux juifs ­originaires d’Europe centrale. Comme le confirmera plus tard sa découverte du recensement de 1936, où, sur les 300 habitants de l’immeuble de la rue Saint-Maur, figurait un tiers d’étrangers venus d’Italie, de Pologne, de Russie ou de Roumanie.

Ainsi, quelques noms de famille (Baum, Diamant, Goldszstajn, Hausman, Doliler…) en regard de métiers (garçon de café, femme de chambre, ouvrier zingueur, couturière…) consignés sur un papier aux couleurs fanées et un immeuble de pierre vont constituer le point de départ d’une enquête que la réalisatrice a menée pendant quatre ans.

Ravaudeuse de souvenirs

« Pierre, papier, beaucoup de papier… » Derrière cette ritournelle enfantine qui revient comme un refrain dans le commentaire de Ruth Zylberman se dessine au propre (sur un plan de coupe du bâtiment où elle tente de localiser les résidents) comme au figuré sa démarche : faire ressurgir d’un mur, d’un couloir, d’une porte, mais aussi des documents – issus des Archives nationales ou de celles de la Ville de Paris – des vies et des liens, ensevelis par l’oubli ou occultés par l’horreur des rafles et de la déportation. Avant de donner la parole aux derniers témoins de l’époque, en particulier les enfants cachés de la rue Saint-Maur.

Aidée par Claire Zalc et Alexandre Doulut – conseillers historiques du film –, la réalisatrice s’est littéralement muée en détective pour retrouver la trace d’Albert, d’Odette, qui vit désormais en ­Israël, de Jeanine, en Australie, ou d’Henry, aux Etats-Unis. Outre les retrouvailles qui concluent admirablement le film, les moments les plus intenses se jouent là, dans le singulier travail de mémoire ­accompli par Ruth Zylberman. Et cette manière douce et bienveillante de les « prendre par la main », en déposant devant eux objets miniatures, lettres ou ­photos, pour les conduire sur le chemin du passé.

Façade de l’immeuble du 209, rue Saint-Maur à Paris. / ZADIG PRODUCTIONS

Endossant tour à tour les rôles d’enquêtrice, de mémorialiste d’une communauté dont elle ressuscite les liens, mais aussi de ­ravaudeuse de souvenirs, de passeuse entre les générations, Ruth Zylberman livre un film éminemment sensible et poignant, baigné d’une atmosphère tantôt à la ­Modiano, tantôt à la Perec.

Un film qui offre, au-delà de la chronique d’une petite collectivité sous l’Occupation, avec ses trahisons, ses abominations ou ses élans de solidarité, une réflexion profonde sur l’histoire, la mémoire et sa transmission.

Les Enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xe, de Ruth Zylberman (Fr., 2017, 100 min).