Les grévistes à l’entrée du centre hospitalier du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), le 29 mai. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Allongé sur une civière, Manos Kappatos est évacué par le SAMU sous un tonnerre d’applaudissements. Sur les sept soignants de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen (Seine-Maritime), qui ont entamé une grève de la faim il y a quinze jours pour dénoncer leurs conditions de travail, il est le troisième, mardi 5 juin, à devoir être hospitalisé en urgence. Parmi les revendications des grévistes : la mise en place d’une unité spécifique pour adolescents et la création de 52 postes d’infirmiers.

Sur le parvis de l’hôpital, une banderole avec un énorme doigt d’honneur peint en noir attire tous les regards, en réponse à l’absence de dialogue avec la direction et l’agence régionale de santé (ARS). Autour du piquet de grève, les slogans se multiplient : « Mon HP va craquer », « Face à l’indifférence, ici on crève ! ». Le visage grave, les grévistes en blouse blanche trempée par la pluie continuent à accrocher des affiches.

Dans une tente de fortune installée dans le hall, Thomas Petit, le teint livide sous son bonnet, juge que « la situation devient critique ». Lui-même a perdu 12 kg. « C’est paradoxal que nous devions mettre en péril notre santé pour nous faire entendre », soupire-t-il.

Face au caractère exceptionnel de cette mobilisation, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé, mardi après-midi, à l’Assemblée, l’envoi de trois émissaires « pour mener une enquête flash, un audit, et voir quels moyens sont nécessaires pour accompagner cet établissement ». « Vous avez raison de pointer du doigt la situation critique de la psychiatrie française », a-t-elle lancé au député communiste Hubert Wulfranc, qui l’interpellait sur le manque de moyens dans le secteur.

« Capacité d’accueil de 115 % »

Alors que les pouvoirs publics se sont engagés la semaine dernière à créer une unité hospitalière destinée aux soins des détenus et une autre spécialisée dans la psychiatrie des adolescents, le bras de fer est engagé entre les syndiqués et l’ARS de Normandie. L’envoi d’une mission est accueilli fraîchement par les grévistes. « Ce ne sera pas une première. On conclut toujours qu’il faut recruter. Pourquoi perdre du temps ? », s’interroge Agathe Chopart, infirmière et représentante CGT du personnel.

« Nous sommes à 115 % de notre capacité d’accueil, il nous faut, au minimum, 52 nouveaux infirmiers », affirme-t-elle, décrivant des patients placés dans « n’importe quelle unité, faute de place », certains étant installés d’urgence dans des lits de fortune « sans oreiller », dans un bureau tout juste débarrassé de ses meubles. « On en est au point où la direction et la commission médicale d’établissement [la structure représentant les médecins] ont décidé de faire partir le plus vite possible les patients les moins pires. »

Nombre de soignants sont sous antidépresseurs, selon la représentante syndicale. Ils culpabilisent notamment sur le sort des mineurs. « Les adolescents sont vulnérables. Leur pathologie est balbutiante, mais on ne les soigne pas, on se contente de les prendre en charge », dit-elle. L’unité ne devra toutefois pas concentrer tous les nouveaux postes, fait valoir Gilles Barthe, psychiatre dans l’établissement et membre de l’Union syndicale de la psychiatrie : « Nous avons besoin des infirmiers partout. Ce sont eux qui connaissent le terrain et qui peuvent aiguiller les psychiatres. » Sollicitée, la direction n’a pas souhaité s’exprimer.

Les déclarations de la ministre n’y auront rien changé. Une marche de soutien était prévue mercredi 6 juin à Sotteville-lès-Rouen, les dockers du port de Rouen annoncent, eux, un « jeudi noir », le 7 juin, pour soutenir le personnel hospitalier. Mardi, Jean-Yves Herment, hospitalisé 24 heures plus tôt, est revenu auprès de Thomas Petit. « La fin de la grève de la faim ne sera pas la fin du mouvement. Ce que l’on veut, c’est pouvoir négocier avec l’ARS et le ministère. »