Il a tiré un ultime passing de revers qui a crucifié Novak Djokovic puis s’est roulé sur le court Suzanne-Lenglen. Les larmes peuvent couler. Avant d’arriver porte d’Auteuil, Marco Cecchinato, 72e mondial, n’avait pas gagné un seul match en Grand Chelem de sa carrière. Et voilà qu’il en remporte cinq d’affilée pour se hisser en demi-finales de Roland-Garros. Contre le Serbe et ses douze titres majeurs, l’Italien de 25 ans a livré mardi le match de sa vie, de loin le plus ébouriffant de toute la quinzaine, au terme d’un des tie-breaks les plus inouïs de la saison.

Le Djokovic appliqué de ses quatre premiers matchs a été rattrapé par ses doutes et ses démons des derniers mois. Soigné par deux fois – d’abord au cou puis au mollet droit –, I’ancien numéro un mondial a fini tel un pantin désarticulé, bras et jambes engourdis, manquant trois balles de quatrième set après avoir mené 4-1.

Suspension et vice de forme

Pressé de se dérober aux journalistes, le Serbe – visiblement contrarié – a expédié ses obligations médiatiques. « Marco n’a pas paru impressionné de se retrouver sur un grand court ou par l’enjeu du match, a-t-il concédé. Moi, je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Je n’ai pas su gérer les moments importants. J’ai manqué un peu de chance aussi… »

De la chance, Marco Cecchinato (prononcer « tchékinato ») n’en manque pas, lui dont le chiffre fétiche est le 13, tatoué sur le poignet. Fin avril, à Budapest, il est éliminé des qualifications. Repêché in extremis, le lucky loser remporte le tournoi, le premier de sa carrière sur le grand circuit. Depuis mars, il y a gagné treize matchs, trois fois plus que lors des cinq dernières années…

Le Sicilien tutoie les étoiles après avoir touché le fond. En octobre 2015, il affronte le Polonais Kamil Majchrzak à l’occasion d’un tournoi Challenger (la deuxième division du tennis) au Maroc. Il a alors 23 ans, pointe à la 143e place mondiale, et perd ce jour-là en deux sets. Après enquête, il est accusé d’avoir parié sur sa propre défaite, et donc balancé la rencontre. Pire, sa fédération lui reproche un autre match caviardé lors d’un Challenger en République tchèque en 2015 et « d’avoir donné des informations confidentielles sur une rencontre entre Andreas Seppi et John Isner à Roland-Garros en 2015 ».

« Je ne veux pas aborder cette question. Laissez-moi profiter de ces instants »

Le dossier est épais. Cecchinato écope d’une suspension de dix-huit mois et de 40 000 euros d’amende. Il sera finalement relaxé six mois plus tard pour vice de forme. « Je ne veux pas aborder cette question, a-t-il balayé sèchement hier, comme à chacune de ses conférences de presse depuis le début du tournoi. Laissez-moi profiter de ces instants… »

Depuis dix jours, Cecchinato pratique « le tennis de sa vie » sur la terre battue parisienne. Rien ne peut l’arrêter. Au premier tour, il comble un retard de deux sets face à Marius Copil, élimine ensuite le lucky loser argentin Marco Trungelliti avant de faire tomber Pablo Carreño Busta, tête de série n°10 du tournoi. En huitième, David Goffin (9e mondial) connaît le même sort. « Depuis le début du tournoi, je suis concentré à l’entraînement. Sur le court, je suis plus déterminé. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé », résumait-il dimanche après sa victoire sur le Belge.

Face à Djokovic, les spectateurs ont encore admiré son revers à une main et sa panoplie de pur terrien : efficacité en retour, large couverture de terrain et jeu qui flirte avec les lignes. Ajoutez à cela de l’audace et des nerfs, et voilà le joueur le moins bien classé dans le dernier carré de Roland-Garros depuis le revenant Andreï Medvedev (n°100) en 1999.

En demi-finales, Marco Cecchinato retrouvera l’Autrichien Dominic Thiem, vainqueur d’Alexander Zverev. Le Palermitain, formé, lui, dans le sud du Tyrol, part optimiste : « La dernière fois qu’on s’est joués, je l’ai battu. » C’était en finale d’un tournoi Future à Modène il y a… cinq ans.