Les décombres d’une mosquée détruite par les forces gouvernementales mozambicaines à Mocimboa da Praia après une attaque contre la ville, en octobre 2017, attribuée à des insurgés islamistes présumés. / ADRIEN BARBIER / AFP

Les images sont terrifiantes. On y voit des corps ensanglantés, éparpillés dans la forêt, et quelques personnes rapportant les têtes coupées auprès des cadavres. La vidéo, qui a surgi ces derniers jours sur les réseaux sociaux au Mozambique, exhibe le résultat d’une attaque au cours de laquelle dix personnes ont été décapitées à la machette, le 27 mai, dans deux villages de l’extrême-nord du pays. Pour la première fois en plusieurs mois, la brutalité des assaillants est apparue très crûment aux yeux de tous, tout comme l’ampleur du problème.

D’après la police, les responsables sont les mêmes insurgés islamistes qui, en octobre 2017, avaient attaqué des policiers et assiégé deux jours durant la ville de Mocimboa da Praia. Depuis, la région est plongée dans l’instabilité. Retranché dans les épaisses forêts des alentours, le groupe menait des raids sporadiques contre les villages, essentiellement pour se ravitailler. Mais ces derniers jours, le rythme des attaques s’est intensifié, alors que les autorités assuraient contrôler la zone.

Futures installations gazières

Mardi 5 juin à l’aube, une nouvelle incursion, plus au sud, a fait sept morts et quatre blessés. Cent soixante-quatre maisons ont été brûlées, a indiqué le porte-parole de la police à Maputo, Inacio Dina. « Nous pensons que ce groupe est le même que celui derrière les décapitations du 27 mai. [Il est] très fragmenté [et] fait tout pour résister à la police », a t-il déclaré.

D’une grande prudence, les autorités mozambicaines rechignent toujours à parler de terrorisme ou de fondamentalisme musulman. Ces dernières attaques se sont produites tout près de Palma, l’épicentre de futures installations gazières qui doivent transformer l’économie de ce pays pauvre d’Afrique australe dans la prochaine décennie.

Mais dans les zones concernées, et plus largement dans tout le nord du Mozambique, un climat de terreur s’est installé. Après les décapitations, les habitants ont fui par vagues les villages ciblés, Monjane et 25 de Junho. Les témoins évoquent des scènes de guerre. « Lorsqu’ils prennent une femme, c’est pour la marier, lorsqu’ils prennent un homme, c’est pour le tuer », a confié Maria Mali à l’agence de presse portugaise Lusa, après une journée de fuite avec ses enfants.

Des dizaines d’assaillants tués par l’armée

Ces témoignages font écho à ceux recueillis depuis octobre dans les environs mais que les autorités s’abstenaient de confirmer ou de commenter. Cette fois, les images apportent la preuve que la population est bien en première ligne et que les attaques se font plus violentes.

Depuis octobre, plus de 400 personnes ont été placées en détention et des dizaines d’assaillants ont été tués par l’armée. Dimanche 3 juin, les autorités mozambicaines ont annoncé avoir abattu neuf des agresseurs présumés responsables des décapitations, dans des opérations menées conjointement avec les habitants. Le problème semble cependant grandissant.

Le groupe d’insurgés déconcerte les spécialistes. Appelé « Al-Chabab » (« les jeunes » en arabe) par la population locale, il n’aurait pas de lien direct avec les Chabab somaliens. D’après trois chercheurs de l’université Eduardo Mondlane de Maputo, qui ont interrogé une centaine de personnes sur place et présenté une étude préliminaire courant mai, le groupe est issu d’un mouvement religieux dénommé Ahlu Sunnah Wa-Jamâ (« les adeptes de la tradition du Prophète »). Celui-ci aurait commencé par dénoncer la manière dont est pratiqué l’islam dans cette zone du pays majoritairement musulmane, puis aurait constitué, fin 2015, des cellules armées au fonctionnement autonome.

Le groupe se financerait principalement par les trafics en tout genre qui se nouent entre l’Afrique du Sud voisine, l’Afrique orientale et l’Asie. Bois précieux, rubis, ivoire, charbon transitent en grande quantité, avec la complicité de hauts responsables du parti au pouvoir. « D’après nos recherches, leur objectif final n’est pas de créer un Etat islamique dans le nord du pays, mais plutôt de créer de l’instabilité afin de pouvoir poursuivre leurs activités illicites », explique l’universitaire Joao Pereira.