Deux présidents ne devraient peut-être pas se dire ça. Mercredi 6 juin, au troisième jour du procès des matchs présumés truqués de Ligue 2, il a longuement été question d’une conversation téléphonique entre patrons de clubs de football.

L’échange remonte à quatre ans. Plus précisément au 11 mai 2014, deux jours avant une rencontre cruciale de fin de championnat, entre Caen et Nîmes. De sa voix posée et imperturbable, un troisième président, celui de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, lit le dialogue enregistré lors d’écoutes policières entre Jean-Marc Conrad, alors nouvellement installé à la tête du club de Nîmes, et son homologue à Caen, Jean-François Fortin.

Jean-François Fortin : « Mais toi, c’est un point, toi aussi ?

Jean-Marc Conrad : – Ouais, ouais.

– C’est ça ?

– Ouais, il nous faut un point, voilà donc…

– Ben, si on n’est pas trop cons, hein !

– Ben, écoute, dis-toi que le président de Nîmes, il est pas trop con, voilà. »

Le 13 mai 2014, Nîmes a obtenu un match nul à Caen (1-1). Un point salutaire pour l’hôte, qui lui permettait de monter en Ligue 1. Et non moins essentiel pour Nîmes, assuré de son maintien en Ligue 2. Quatre ans plus tard, neuf prévenus, dont plusieurs ex-dirigeants ou actionnaires nîmois, comparaissent devant la justice, soupçonnés d’avoir tenté d’arranger sept matchs à la fin de la saison 2013-2014, dont celui de Caen, afin d’éviter la relégation de Nîmes en National.

« Arranger » un match ? L’expression a suscité d’interminables débats sémantiques. Des explications alambiquées et des silences gênés, aussi. « Arrangement, c’est un grand mot », a assuré, lundi, Franck Toutoundjian, un proche des dirigeants nîmois qui avait utilisé ce terme au téléphone. « Arranger, cela ne veut pas forcément dire qu’il y a eu corruption. On peut arranger une équipe, une manière de jouer », a tenté Serge Kasparian, éphémère actionnaire de Nîmes.

Constat « purement mathématique »

Mais mercredi, Jean-François Fortin, entendu au titre du match à Caen, est formel. D’arrangement, il n’y a pas eu. Dans son costume bien taillé, le septuagénaire commence à raconter son long parcours de dirigeant « bénévole », avant de s’indigner face aux magistrats, la voix tremblante : « C’est me faire offense de dire que j’ai fait un calcul avec Jean-Marc Conrad pour trois bouteilles de Costières. Acharnez-vous comme vous voulez, mais je ne peux pas supporter ça ! » Selon lui, l’échange avec son homologue relevait d’un constat « purement mathématique ». Face aux juges, les larmes ont déjà coulé derrière ses lunettes lorsqu’il déclare : « Mon honneur a été bafoué, j’ai été considéré comme un tricheur. »

En prévenu prévenant, Serge Kasparian est venu lui apporter une bouteille d’eau. L’ancien dirigeant nîmois et ex-patron du cercle de jeu Cadet à Paris – des fonctions qui lui valent d’autres mises en examen – s’était lui-même emporté quand le président du tribunal, Benjamin Blanchet, avait lu une autre conversation à l’issue du match en Normandie. Lors de celle-ci, l’un des fils Kasparian avait demandé à son père, à propos du nul obtenu : « C’était dur ? » Réponse : « Non, tu sais, on était un peu d’accord. »

Colère de Serge Kasparian, à la barre : « Cela fait quatre ans que je ne parle plus à mon fils à cause de ces connards ! » Puis, en s’adressant aux autres prévenus : « Vous avez tous intérêt à vous tenir à carreaux, je vous le dis. » L’audience, suspendue quelques minutes, a été marquée par quelques moments de tension, des larmes, de l’agacement, mais aussi, de temps à autre, des rires.

L’exégèse de dizaines de conversations téléphoniques n’aura donné lieu à aucun aveu. Sur l’évidence « mathématique », Serge Kasparian rejoignait d’ailleurs Jean-François Fortin : tout le monde avait intérêt à ce qu’il y ait match nul. Et c’est ce qu’il advint. « Tout ça vous paraît dicté par les lois naturelles du football ? Tout ça a une logique sportive ? », a demandé le président du tribunal. « C’est dommage, mais c’est comme ça », a répondu Serge Kasparian.

« Tout ça s’est fait naturellement, sans arrière-pensées », a insisté Jean-Marc Conrad, auteur de nombreux coups de fil pour saisir « l’état d’esprit » des adversaires. Il a plaidé des « phrases dites sur le ton de la boutade. (…) Décontextualisé et amené comme ça, c’est à pleurer, bien sûr. » Le procès se termine vendredi 8 juin.