Le siège du groupe Lactalis, à Laval, est perquisitionné le 17 janvier 2018. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Jeudi 7 juin, le discret patron de Lactalis, Emmanuel Besnier, a été auditionné par les députés pour s’expliquer sur sa gestion de l’affaire du lait infantile contaminé par la salmonelle. La commission d’enquête parlementaire, constituée en janvier, a demandé de multiples fois à entendre M. Besnier, sans y parvenir jusqu’ici, le PDG ayant montré beaucoup de réticence à venir s’expliquer.

Que s’est-il passé ?

Le 1er décembre 2017, Santé publique France fait état d’une vingtaine de cas de salmonellose chez des nourrissons ayant tous consommé du lait infantile produit par Lactalis. A la suite de quoi un rappel dudit lait infantile provenant de l’usine Lactalis de Craon (Mayenne) est émis. Un second rappel de tous les produits infantiles produits par la même usine depuis février 2017 est ordonné à la mi-décembre.

Malgré l’alerte des autorités sanitaires, le retrait de ceux-ci s’avère chaotique et des manquements sont détectés. Début janvier, les enseignes Leclerc, Auchan, Système U, Carrefour et Casino reconnaissent avoir continué à vendre ces produits malgré les rappels.

Le parquet de Paris ouvre le 22 décembre une enquête pour « blessures involontaires », « mise en danger de la vie d’autrui », « tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine » et « inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel d’un produit » préjudiciable à la santé. Cinq sites de Lactalis, dont le siège et l’usine de Craon, sont perquisitionnés le 17 janvier.

Au total, « plus de 12 millions de boîtes » ont été retirées de la vente, selon M. Besnier.

Selon le dernier bilan, 41 cas de salmonellose ont été provoqués par les produits Lactalis chez des nourrissons (38 en France, deux en Espagne et un en Grèce). L’Association des parents victimes du lait contaminé (APVLC) clame qu’ils sont beaucoup plus nombreux. Tous ces bébés se sont ensuite rétablis. En 2005, la contamination du lait infantile produit au sein de la même usine, qui n’appartenait pas encore à Lactalis, avait provoqué 146 cas de salmonellose.

Plusieurs « centaines » de plaintes de parents en France contre le groupe auraient été déposées, selon une association. Ce à quoi s’ajoute une plainte de l’association de consommateurs Foodwatch.

Dimanche 31 mai, le groupe a redémarré la production de l’usine de Craon pour des tests, la direction générale de l’alimentation précisant que « tout ce qui est produit est consigné, bloqué sous contrôle de Lactalis, ça n’a pas le droit d’être mis sur le marché ».

Lactalis a-t-il identifié la cause de la contamination ?

Lactalis a assuré en décembre 2017 avoir identifié la « cause probable » de la contamination, indiquant qu’elle résultait de « travaux réalisés [dans le] courant du premier semestre 2017 » qui auraient « libéré la salmonelle qui était à l’intérieur des bâtiments ». En 2005, le site, qui appartenait à Celia et non à Lactalis, avait déjà subi une contamination à la salmonelle. Un an plus tard, Lactalis, qui ne produisait pas de lait infantile jusqu’alors, rachète Celia et l’usine de Craon.

Interrogé par Les Echos, M. Besnier a indiqué que les salmonelles étaient présentes dans l’environnement de l’usine de Craon depuis son rachat en 2006 et n’a pas exclu que « des bébés aient consommé du lait contaminé entre 2006 et 2017 ».

D’autant que les salmonelles sont des bactéries très résistantes et peuvent survivre pendant plusieurs années. Quasiment « indélogeables » lorsqu’elles se nichent dans les joints de carrelage, elles se propagent aisément dans l’eau. Autant d’éléments qui rendent difficile la désinfection d’une usine entière.

L’enquête menée en 2005 par l’Institut de veille sanitaire n’avait d’ailleurs pas permis d’établir clairement l’origine de l’infection, n’en restant qu’au stade des hypothèses, soulignant « la persistance et la résistance des salmonelles dans l’environnement » après « nettoyage et désinfection ».

Selon Michel Nalet, le porte-parole du groupe, les analyses du lait « n’ont jamais établi la présence de salmonelles » après que l’entreprise a, dès fin août 2017, détecté ces bactéries dans l’environnement de l’usine. Un point qui interroge Emmanuel Besnier, qui dit avoir « beaucoup de mal à comprendre comment 16 000 analyses réalisées en 2017 ont pu ne rien révéler ».

Qu’a répondu le PDG de Lactalis aux députés ?

Lactalis et son PDG ont été vivement critiqués depuis le début de la crise pour leur manque de communication. L’audition de M. Besnier, jeudi, n’en était que plus attendue par les députés, qui avaient de nombreuses questions.

La colère du député Richard Ramos face au PDG de Lactalis
Durée : 02:31

D’autant que les avocats de l’entreprise ont tenté de faire interrompre les travaux de la commission parlementaire, arguant que celle-ci « empiète sur la procédure judiciaire en cours ». « Allez-vous continuer avec vos conseils à essayer de torpiller cette commission ? », a lancé Christian Hutin, député Nouvelle Gauche, en préambule. Emmanuel Besnier a assuré avoir décidé de mettre finalement fin à cette tentative.

Le PDG du groupe a tenté de justifier, pied à pied, la gestion de la crise par Lactalis, dans une atmosphère tendue. « Je renouvelle mes excuses auprès des familles des bébés malades, de celles qui se sont inquiétées », a déclaré M. Besnier dès le début de l’audition. « Nous avons failli à notre mission, nous n’aurons jamais assez de mots pour nous excuser », a-t-il assuré.

Pressé de questions sur la sécurité de l’usine, le PDG de Lactalis s’est expliqué sur l’origine des contaminations et a assuré que l’entreprise « avait revu l’ensemble des plans de maîtrise sanitaire », à Craon, comme dans les autres sites du groupe, assurant également que le groupe « avait pris la décision de fermer définitivement la tour numéro 1 à l’origine de l’incident ». Emmanuel Besnier a aussi indiqué qu’il allait désormais partager ses analyses entre au moins deux laboratoires, dont des laboratoires publics.

Mais sur la question des responsabilités, le patron de Lactalis n’a apporté aucun élément de réponse, réaffirmant qu’« il n’y a pas de responsabilité de personnes à l’intérieur de l’usine ».

La commission d’enquête parlementaire doit remettre son rapport et ses recommandations en juillet.