Photo d’illustration - Parcoursup / DENIS CHARLET / AFP

« Loin d’être un simple outil technique, l’algorithme d’affectation peut être un instrument puissant de politique publique » : c’est ce qu’estime le think tank Terra Nova dans une note publiée mercredi 6 juin. Intitulée « Faut-il sauver les algorithmes d’affectation ? », elle arrive à point nommé alors que la nouvelle procédure d’accès à l’enseignement supérieur Parcoursup, dont les premières réponses sont tombées le 22 mai, fait débat.

Les trois chercheurs spécialistes des algorithmes Julien Combe, Victor Hiller et Olivier Tercieux, qui signent cette note, s’attachent à décrire le fonctionnement, les limites et les pistes d’amélioration de trois algorithmes d’affectation : celui qui préside aux destinées des collégiens vers le lycée (Affelnet) ; celui qui affecte les enseignants français dans les académies ; et, enfin, Parcoursup, qui affecte les candidats à une première année d’études post-bac.

« Lenteur » et « stress »

Concernant ce dernier, les auteurs de la note estiment que « le défaut principal de Parcoursup tient (…) à la lenteur de cette procédure ». Un sentiment partagé par les milliers de candidats à l’enseignement supérieur qui se connectent tous les jours sur le portail d’admission pour découvrir s’ils ont obtenu une proposition d’admission ou remonté dans les listes d’attente.

Alors que l’algorithme de la procédure Admission post-bac (APB), en vigueur jusqu’à l’an dernier, s’appuyait sur la hiérarchisation des vœux des candidats pour leur faire, à chacune des trois phases, une seule proposition, la meilleure possible, avec Parcoursup, le ministère a choisi de ne pas demander aux candidats de classer leurs vœux par ordre de préférence. Ils reçoivent ainsi une réponse pour chacun de leurs vœux (dix maximum, auxquels s’ajoutent parfois des sous-vœux), à laquelle ils ont un temps limité pour répondre (sept jours en début de procédure), avec pour règle d’en conserver un seule à la fois, tout en pouvant maintenir des vœux où ils sont en liste d’attente. « Les refus offrent la possibilité au ministère de faire une proposition à des élèves sur liste d’attente n’en ayant pas eu jusqu’ici », rappelle la note.

Or cette séquence de propositions et de rejets individuels, nécessitant « certainement beaucoup de temps » pour que tous les élèves aient une proposition, « pourrait être exécutée quasi instantanément par un algorithme », expliquent les auteurs. Une « inefficacité » relevée dès novembre par d’autres spécialistes des processus d’affectation scolaire :

Selon les auteurs de cette note, au-delà du « stress » généré pour les candidats, « cette incertitude impacte l’accès au logement des étudiants et leur capacité à préparer leur rentrée dans de bonnes conditions ». Mercredi 7 juin, quelque 200 000 candidats étaient encore en attente d’une proposition sur Parcoursup, selon le tableau de bord mis à jour quotidiennement par le ministère.

« Comportements stratégiques »

Autre écueil du fonctionnement de Parcoursup mis en avant : le développement de « comportements stratégiques » de la part des élèves et des formations. « Stratégies prudentes » de la part, entre autres, de candidats au dossier scolaire « plus fragile » préférant lister « les formations dans lesquelles ils estiment avoir le plus de chances d’être acceptés plutôt que les formations qu’ils préfèrent ». Mais aussi « stratégie de rapidité » de la part de candidats confrontés à une attente « coûteuse (en termes de stress, d’accès au logement, de préparation de la rentrée) », qui risquent d’accepter rapidement des propositions « qui ne sont pas nécessairement leurs préférées, pour en finir avec l’incertitude ».

Enfin, ces comportements pourraient aussi avoir un impact sur les formations qui souhaitent s’adapter… « aux stratégies qu’elles anticipent de la part des élèves lorsqu’elles classent les candidats ». Les formations les moins attractives « pourraient adopter des stratégies de prudence en décidant de limiter les propositions qu’elles font aux meilleurs candidats », qu’elles soupçonnent d’obtenir mieux ailleurs. Ou bien, comme de nombreuses formations l’ont déjà fait, décider de « reporter des capacités d’accueil plus importantes que ce qu’[elles] ont réellement », afin d’anticiper les désistements.

Retour d’une « liste ordonnée de vœux »

Afin d’améliorer Parcoursup à l’avenir, et d’accélérer le processus, le think tank recommande d’avoir recours « à un moment de la procédure, à un algorithme centralisé permettant d’affecter l’ensemble des élèves en confrontant une liste ordonnée de vœux qu’ils auraient reportés et leurs classements dans les formations ». Un fonctionnement plus proche, donc, de ce qui existait avec APB : « si l’objectif [de la réforme de l’accès à l’université] était de mettre fin au tirage au sort, laisser les formations universitaires définir leurs prérequis et classer les étudiants n’est en aucune façon incompatible avec l’usage d’un algorithme », selon eux.

En conclusion, les auteurs de l’étude insistent une nouvelle fois « sur la nécessité de recourir à des algorithmes centralisés pour résoudre ces problèmes complexes d’affectation ». Reste à savoir quel algorithme utiliser précisément. A cette fin, ils proposent de mettre sur pied une « nouvelle structure institutionnelle », sur le modèle de l’Agence de biomédecine française, chargée des trois procédures d’affectation étudiées dans la note, concernant les enseignants et les élèves, à l’entrée du secondaire et du supérieur. Cette agence, composée entre autres de statisticiens, aurait pour mission de récolter les données d’affectation des différentes procédures, de conseiller les pouvoirs publics, de « faire tourner l’algorithme », et de le rendre le plus transparent possible pour le public concerné.