Image prise dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, à Paris, du périmètre de sécurité établi autour du Bataclan, théâtre d’une sanglante prise d’otages. / FRANÇOIS GUILLOT / AFP

Le soir des attentats du 13 novembre 2015, à Paris, huit soldats de l’opération « Sentinelle » sont arrivés peu après 22 heures aux abords du Bataclan, où se déroulait la prise d’otages. Ils se sont positionnés près des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) du Val-de-Marne, arrivés les premiers mais sous-équipés, et qui se faisaient tirer dessus par les terroristes. Les militaires ne sont pas intervenus. Les policiers leur ont alors demandé de leur prêter leur fusil d’assaut Famas ; ce que les soldats ont refusé de faire, conformément au règlement militaire.

L’attitude de ces soldats reste incompréhensible pour les victimes et les familles des victimes. Plusieurs d’entre elles ont déposé plainte « contre X pour non-assistance à personne en péril », ont annoncé leurs avocats, vendredi 8 juin. « Pourquoi a-t-on empêché huit militaires de l’opération “Sentinelle”, présents devant le Théâtre du Bataclan dès les premières secondes de l’assaut, d’intervenir pour tenter de neutraliser les terroristes ? s’interrogent Mes Samia Maktouf, Océane Bimbeau et Jean Sannier dans un communiqué. Nous voulons la réponse des responsables, de ceux qui ont donné l’ordre aux soldats de “Sentinelle” de ne pas intervenir. »

« Négatif, vous n’engagez pas les militaires »

Le fait que ces soldats ne soient pas intervenus a déjà fait l’objet de nombreux débats. Un rapport d’enquête parlementaire publié en juillet 2016 a permis d’avoir des éléments d’explication. Un brigadier-chef de la police appelé sur place ce soir-là a affirmé qu’il avait demandé l’autorisation d’engager ces hommes. Mais la préfecture de police, qui a autorité sur le dispositif « Sentinelle », lui a répondu : « Négatif, vous n’engagez pas les militaires, on n’est pas en zone de guerre. » Contactée, la préfecture de police « ne souhaite pas commenter, puisqu’une enquête est en cours ».

De son côté, le général Bruno Le Ray a affirmé à la commission d’enquête qu’il n’avait « jamais reçu de demande d’autorisation » de la part de la préfecture de police pour entrer dans le Bataclan. Il a ajouté que si cela avait été le cas, « il l’aurait refusée, faute de plan d’action prédéfini », détaille le rapport.

Le porte-parole du gouverneur militaire de Paris, Guillaume Trohel, explique : « La situation était très confuse, ce soir-là. Avant de donner une mission à quelqu’un, il faut savoir ce qu’il se passe ! On ne peut pas envoyer une unité à l’aveugle. » Les militaires auraient-ils pu prendre l’initiative d’eux-mêmes ? « Ce n’est pas le sujet, dit-il. On peut le faire dans le cadre de la légitime défense, mais pas dans ce contexte, car il y avait déjà tout un dispositif de sécurité mis en place. »

Les militaires « ont rempli leur mission »

Devant les parlementaires, le général Le Ray avait aussi invoqué les règles d’engagement des militaires, qui veulent « que l’on n’entre pas dans une bouteille à l’encre sans savoir ce que l’on va faire et contre qui ». « Il est impensable de mettre des soldats en danger dans l’espoir hypothétique de sauver d’autres personnes. (…) Ils n’ont pas vocation à se jeter dans la gueule du loup », avait ajouté le général. Ces propos ont choqué les avocats des plaignants, pour qui il n’y a « aucune explication raisonnable et légitime à la passivité fautive des militaires ».

Les soldats positionnés aux côtés des policiers de la BAC « ont reçu l’ordre oral de neutraliser les terroristes s’ils sortaient du Bataclan. Mais faute de visuel au moment des échanges de tir, ils n’ont pas fait usage de leur arme », précise le rapport d’enquête parlementaire.

Le porte-parole du gouverneur militaire de Paris assure que les soldats postés aux abords du Bataclan « ont rempli leur mission », qui consistait à « protéger les policiers déjà engagés ». « On a de la compassion pour les familles, mais c’est facile de faire des scénarios a posteriori, avec des “et si”, dit-il. Intervenir dans une séquence de prise d’otages en lieu clos relève d’une unité spécialisée. Or l’unité “Sentinelle” présente ce soir-là n’était pas formée pour ça. » Les soldats déployés le soir des attaques « n’ont pas rien fait », ajoute-t-il, car « ils ont notamment protégé l’hôpital Necker, et facilité l’évacuation des victimes ».

Les juges d’instruction chargés du dossier doivent faire un point le 12 juillet sur les investigations menées sur les attentats du 13 novembre avec les rescapés et les familles des victimes.