Rafael Nadal face à Diego Schwartzman AFP / CHRISTOPHE SIMON / CHRISTOPHE SIMON / AFP

Juin 2005, Jacques Chirac préside encore, Roger Federer domine le classement ATP, et les spectateurs de Roland-Garros découvrent un adolescent aux biceps saillants, bandana blanc et marcel verdâtre. Treize ans et dix titres plus tard, les cheveux sont tombés mais le bandana est toujours là et Rafael Nadal n’en finit plus de prolonger un règne que certains prédisaient bref en raison d’un jeu hâtivement présenté comme trop physique et énergivore.

Pour prendre la mesure de ce que charrie en 2018 le mot « Nadal » à Roland-Garros, une image vient à l’esprit. Mercredi, alors que le numéro un mondial souffre face à Diego Schwartzman sur le court central en quart de finale, il règne alors comme une atmosphère sépulcrale. Le stade entier est en apnée. Les photographes cavalent, brûlants d’immortaliser l’instant. Comme sur la balle de match un jour de finale, ne s’échappent que les crépitements des flashs en rafale.

L’instant rappelle ce 31 mai 2009, même climat humide, même stupéfaction, même atmosphère de régicide. Robin Söderling fait tomber le roi sur « sa » terre pour la première fois. Cette fois, Rafael Nadal n’a pas perdu le match. Non, il vient juste d’égarer un set : « Imaginez… trois ans que cela ne lui était pas arrivé… » Dans les allées, la statistique parvient en stéréo. Et puis la pluie est arrivée et Nadal s’est mis à gagner. Jeudi, le soleil et le coup droit de l’Espagnol étaient de retour. « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? », hurle le pauvre Diego, plus vraiment libre dans sa tête et sous sa casquette à l’envers. Rien, il n’y a hélas plus rien à faire. La bête est redevenue indomptable.

Il n’est pas un produit fini

Croisé jeudi matin au tournoi, Robin Söderling se prosterne devant ce règne qui n’en finit pas : « Je crois qu’on ne reverra plus jamais ça. En tout cas, pas de mon vivant, avance son bourreau suédois. Ce qui m’impressionne le plus, c’est que malgré ses 10 titres ici, il affiche la même motivation, il a même peut-être encore plus d’appétit que la première fois. Et ça, c’est tout simplement invraisemblable. »

La faim est peut-être intacte, mais sur le terrain, le taurillon des premiers sacres n’a plus grand-chose à voir avec le Nadal de 32 ans. Le joueur qui pilonnait l’adversaire jusqu’à ce que faute s’ensuive et galopait comme un dératé après chaque balle prend désormais le temps d’analyser. Les interminables rallyes ont laissé place à des schémas de jeu réduits. Lui, le défenseur-né, est aussi devenu un des meilleurs volleyeurs du circuit.

« Il a amélioré son revers. Même si les autres joueurs le visent avec force, il arrive quand même à retourner, constate encore Söderling. S’il est épargné par les blessures, rien ne l’empêchera de gagner encore deux, trois ou quatre fois. »

« Mon corps a à peu près 40 ans, mais je m’en accommode »

Les blessures… Elles qui jalonnent sa carrière ne lui laissent d’autre choix que de se renouveler pour espérer durer. Son obsolescence physique n’est pas programmée, même s’il affirme ressentir le poids des ans et des matchs. « Mon corps a à peu près 40 ans, mais je m’en accommode », ironisait l’Espagnol, jeudi, après sa qualification. Strapé aux avant-bras par le kiné mercredi, il ne convainc guère quand il prétexte qu’il s’agit de bloquer sa transpiration à cause de l’humidité.

Le secret des grands est de ne jamais se considérer comme un produit fini. A l’instar de Federer, depuis dix ans, le numéro un mondial incorpore chaque année de nouveaux coups et de nouvelles variations à sa palette technique. L’entraîneur de Nadal, Carlos Moya, pense même « qu’il peut encore gagner en agressivité, encore mieux se placer à l’intérieur du court et encore s’améliorer au service. » A en croire le vainqueur de 1998, « la perfection n’existe pas en tennis, il y a toujours des secteurs où progresser et ça tombe bien, Rafa en a toujours l’envie ».

Rafael Nadal au service lors de son quart de finale face à Diego Schwartzman. REUTERS/Gonzalo Fuentes / GONZALO FUENTES / REUTERS

Dans sa réflexion sur sa longévité, son rival suisse, bientôt 37 ans, a opéré un choix radical depuis son retour victorieux début 2017 : zapper l’éreintante saison sur terre battue et éviter d’y croiser son rival espagnol. Rafael Nadal, lui, ne prévoit pas de l’imiter. « Que veut-on dire par alléger son calendrier ? Certes, il y a l’exemple inédit de Federer pour qui ça a marché, mais Rafa, ce n’est pas sa façon de fonctionner, explique Moya. Le calendrier, on en parle entre nous, oui. Mais il a joué 18 tournois en 2017, je ne crois pas que ça fait beaucoup. En disputer 11 par an comme Federer, ce n’est pas une option. »

Il existe un point sur lequel Rafael Nadal n’a pas eu besoin de travailler depuis qu’il a posé pied sur terre en 2005 : sa résilience. Il en a encore fait la démonstration face à Schwartzman, pour qui « [son] mental est le meilleur de l’histoire. Le mot frustration, il ne connaît pas. Après avoir perdu le premier set, il est revenu comme si de rien n’était ».

Pourtant, depuis le début de la quinzaine, le Majorquin montre des signes évidents de nervosité, comme face à Simone Bolelli au premier tour, puis contre à Maximilian Marterer en huitième de finale. Contre Schwartzman, Nadal concède avoir stressé. « Je n’ai aucune obligation de gagner, a-t-il ajouté. Mais si tu ne ressens aucune pression, alors, c’est que tu ne dois pas aimer le sport. Et si tu n’aimes pas le sport, mieux vaut rentrer chez toi. » Lui n’a pas l’intention de reprendre l’avion avant lundi.