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Le sociologue Serge Guérin, coauteur, avec le dirigeant d’entreprise Dominique Boulbès, de La Silver économie, 60 acteurs de l’économie des 60 + (éditions La Charte), estime qu’une vision politique de la vieillesse est fondamentale. Une nécessité qui va au-delà du plan « grand âge et autonomie » présenté mercredi 30 mai par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Cette vision doit accompagner le développement de la « silver économie », l’économie des seniors, secteur où émergent de multiples initiatives innovantes, qui peuvent changer l’organisation des villes. Pour son livre, Serge Guérin a rencontré soixante acteurs de cet écosystème, dont il décrypte les enjeux.

Vous avez fait du lien intergénérationnel et du care (le soin) votre cheval de bataille. Pourquoi donc avoir consacré un livre à l’économie des seniors ?

Serge Guérin : Si la silver économie est une chance, c’est justement parce qu’elle part systématiquement de l’usage. Il faut reconnaître que cette notion a permis de changer le regard social sur les questions de vieillissement et de longévité. Qu’il y ait un marché derrière ne me dérange pas, s’il continue à améliorer la qualité de vie des seniors.

Vente à distance, objets connectés, aménagement du domicile, maisons de retraite, etc. Les soixante projets dont vous parlez ont-ils été sélectionnés pour leur pertinence ?

Nous avons cherché à montrer la mosaïque de la silver économie. C’est pourquoi nous avons voulu aborder tous les thèmes, de la maison de retraite et des services à la personne jusqu’à la petite start-up. Il y a parfois la tentation de voir la silver économie comme un secteur ultra-technologique destiné aux seniors geeks ; nous avons voulu montrer que ce n’était pas le cas.

Le terme « silver économie » est apparu il y a environ cinq ans. D’où vient-il ?

Le terme a été prononcé par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, et Michèle Delaunay, alors ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. Pour la première fois, la question du vieillissement apparaissait dans les 37 priorités dressées par Montebourg. On s’est enfin mis à considérer, comme au Japon, que le vieillissement pouvait être une source de développement économique. Le terme est critiqué car il est en anglais. Mais qui voudrait parler d’économie de la maturescence [période critique d’âge, située entre 40 et 65 ans] ? La meilleure solution serait à terme de parler d’économie de la longévité. Cela permet de montrer que l’enfant est déjà concerné.

Selon vous, la filière de la silver économie représente 300 000 emplois. Où sont-ils ?

On trouve le gros des emplois dans les maisons de retraite et les services à la personne. Mais il faudra être attentif à ces emplois, car dans les conditions de précarité et de pénibilité actuelles, il est parfois difficile de trouver des candidats.

En quoi la silver économie fait-elle changer la ville ?

Les villes sont confrontées au réel. Les élus, qu’ils le veuillent ou non, ont commencé à adapter la ville aux enjeux de la longévité. Un exemple : la suppression des escaliers pour prendre les transports en commun est de plus en plus effective. Et c’est une démarche inclusive car tout le monde peut en profiter : les handicapés, les enfants, les gens qui traînent poussettes et colis, tout le monde est gagnant.

Autre exemple : si le feu rouge affiche un décompte, cela permet aux gens de ne pas courir et donc de ne pas se faire renverser. Dans certaines villes, comme à Royan, plus de 50 % de la population a plus de 60 ans.

Paris, Nice, Dijon, Le Havre se revendiquent « ville amie des aînés. » Où avez-vous vu les innovations les plus probantes ?

Comme souvent, l’ouest de la France a été précurseur. Angers, il y a vingt-cinq ans, a inventé l’un des premiers magazines dédié aux seniors. Nantes a nommé le premier adjoint au maire chargé des personnes âgées. Rennes a travaillé sur l’habitat intergénérationnel avec la résidence Simone de Beauvoir. La Rochelle aussi s’est adaptée, parce qu’elle a été confrontée assez tôt à une immigration de retraités. Celle-ci a permis de développer l’offre culturelle.

Dans son plan « grand âge », le gouvernement annonce le lancement d’un débat national pour aboutir à des propositions début 2019. Est-ce nécessaire ?

Non. Le premier rapport fondateur, le rapport Laroque, date de 1962. Il abordait déjà la question du cinquième risque et du financement de la perte d’autonomie. Par ailleurs, ce « débat national » se fera notamment via une plate-forme en ligne qui va, de fait, exclure les personnes plus âgées. C’est paradoxal. Il faut inventer une société de la longévité, car elle a les moyens de trouver son équilibre économique. Et cela commence par valoriser un certain nombre de métiers liés à cette prise en compte des plus âgés.

Le plan se concentre en particulier sur des aides d’urgence aux Ehpad, en prévoyant 300 millions d’euros pour 2019. Est-ce une avancée ?

Encore une fois, on confond moyens techniques et vision politique. Cette aide ne dit pas quel doit être le rôle de l’Ehpad demain. Elle ne parle pas de la diversité des solutions en termes d’habitation. On a trop souvent opposé la notion de « maintien à domicile » qui est par ailleurs d’une violence incroyable – et l’Ehpad. Or il existe par exemple des « résidences service » ou de l’habitat intergénérationnel. L’Ehpad de demain devra être une plateforme ouverte où l’on puisse entrer et sortir.

Emmanuel Macron est-il « l’ami des personnes âgées », comme il a pu parfois être décrit ?

Le président a eu des mots très durs envers les plus âgés et les retraités. Dans Le Point, il a opposé les actifs et les inactifs « qui nous coûtent cher ». La hausse de la CSG [contribution sociale généralisée] pour des retraités disposant, en moyenne, de pensions de 1 350 euros par mois est une mesure violente. Surtout quand elle est concomitante de la suppression de l’ISF [impôt sur la fortune].

Vous estimez que le travail quotidien et bénévole des « aidants » représente 164 milliards d’euros. Or les « aides aux aidants » sont annoncées pour plus tard. Que peut-on attendre ?

Sans les aidants, le système de santé français craque. Ils sont le cœur du care. Le care, ce n’est pas qu’une théorie loufoque. Près de 9 millions de personnes aident un proche au quotidien. En 2016, la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) instaurait pour la première fois une reconnaissance du rôle des aidants. Il y a donc eu des avancées : on peut par exemple se mettre en congé tout en gardant son emploi si l’on prouve sa situation d’aidant. Mais attention ! Les aidants ne sont pas que des membres de la famille. Ils peuvent être des amis, ou bien des amants. Dans ces cas-là, le lien est presque impossible à prouver.

Qu’entend-on par l’expression « Ehpad à domicile » ?

Il faut choisir entre un modèle où l’Ehpad sera un lieu ouvert, et un modèle où il sera uniquement un lieu de fin de vie. Dans le premier cas, que je soutiens, les gens pourront s’y retrouver pour aller manger le midi, boire un verre le soir, se faire soigner ou accompagner en termes de prévention. On en ferait un lieu de circulation et d’échange, avec des retours au foyer possibles. En ce sens, les personnes pourraient avoir envie d’y entrer plus tôt, comme au Danemark.

Quels sont les avantages des « résidences service seniors », beaucoup moins répandues que les Ehpad ?

Il existe de multiples solutions entre le chez soi à tout prix et la maison de retraite médicalisée. Les résidences service vont connaître une croissance très forte. Elles permettent à des gens qui n’ont pas des revenus élevés de vivre dans un lieu qui n’est pas coupé du monde. Pour l’instant, on refuse l’idée de résidences seniors adaptées à certains publics, mais les discours commencent à changer. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de vieillir avec des gens qui nous ressemblent ? Ce n’est pas parce qu’on a dépassé un certain âge qu’on perd toutes ses particularités, ni son libre arbitre. Un homosexuel de 90 ans est un adulte aussi conscient qu’un jeune de 25 ans.

« Le Monde » organise dans son auditorium, le 15 juin de 8 h 30 à 10 h 30, un événement sur la place des seniors dans les « villes intelligentes », dans laquelle interviendra Serge Guérin.

Inscription et programme ici (gratuit).