Une photo de Susanna F., sur le lieu du crime, le 8 juin. / BORIS ROESSLER / AFP

L’histoire fait les gros titres de l’actualité en Allemagne, y compris sur les sites d’information d’habitude peu friands de faits divers. Depuis jeudi soir, les principaux médias du pays consacrent une large place à la mort de Susanna F., une adolescente de 14 ans de confession juive dont le corps a été retrouvé, mercredi 6 juin, près d’une voie ferrée, à Wiesbaden (Hesse), deux semaines après sa disparition.

Autant que les circonstances de la mort de la jeune fille, qui aurait été violée avant d’être assassinée, c’est l’identité du principal suspect et la façon dont celui-ci aurait réussi à échapper à la police qui suscite une très vive émotion.

Agé de 20 ans, Ali Bashar, de nationalité irakienne, est arrivé en Allemagne en octobre 2015, en pleine crise des réfugiés. Sa demande d’asile avait été rejetée en décembre 2016. Le 2 juin, onze jours après la disparition de Susanna, le jeune homme a quitté l’Allemagne avec ses parents et ses cinq frères et sœurs par un vol de Düsseldorf vers Istanbul, puis en a pris un autre à destination d’Erbil, en Irak.

Le temps de la récupération

Ces informations ont été données par la police, qui a précisé que le suspect et sa famille avaient voyagé sous de fausses identités, mais qu’ils étaient munis de laissez-passer qui leur avaient été délivrés par les autorités consulaires irakiennes en Allemagne. Les différences de noms entre les laissez-passer et les billets n’auraient pas été remarquées, seules les photos d’identité ayant été examinées lors du passage à la frontière, ont indiqué les autorités.

Depuis jeudi, l’affaire a suscité de très nombreuses réactions politiques. Des responsables de tous les partis ont réclamé que la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles le suspect et sa famille ont pu quitter le territoire allemand sous de fausses identités. Plusieurs élus se sont également étonnés que le suspect, qui avait déjà été impliqué dans des actes de délinquance et même soupçonné du viol d’une fillette de 11 ans, en mars, dans le foyer où il vivait, n’ait pas été expulsé plus tôt – ou tout au moins placé en rétention – alors que sa demande d’asile avait été rejetée.

Comme dans d’autres affaires comparables ayant touché l’Allemagne ces derniers mois, le temps de l’émotion a vite laissé place à celui de la récupération. Vendredi matin, un député du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a ainsi profité de la parole qui lui était donnée, au Bundestag, pour entamer une minute de silence « en hommage à Susanna, retrouvée morte à Wiesbaden ». L’initiative a été sévèrement critiquée par les autres groupes parlementaires. « Le Bundestag est un lieu de débat, pas un lieu d’instrumentalisation politique des victimes », s’est ainsi emporté Carsten Schneider, l’un des dirigeants du groupe social-démocrate.

Le suspect interpellé en Irak

Si l’émotion suscitée par ce drame est aussi considérable outre-Rhin, c’est sans doute parce qu’elle fait écho à une autre affaire au cœur de l’actualité allemande depuis une dizaine de jours : la délivrance de plus d’un millier de titres de séjour indus à des demandeurs d’asile qui n’auraient pas dû les recevoir, de la part de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF). Une enquête pour corruption a été ouverte par la justice. La commission des affaires intérieures du Bundestag a entamé une série d’auditions pour y voir plus clair.

Même si les deux affaires n’ont rien à voir, leur concomitance fait immanquablement le jeu de ceux – à l’extrême droite mais pas seulement – pour qui le gouvernement d’Angela Merkel a « perdu le contrôle » de la situation en accueillant près d’un million de réfugiés en Allemagne pour la seule année 2015, au risque de laisser venir des criminels ou des terroristes en puissance.

Vendredi après-midi, le ministre fédéral de l’intérieur, Horst Seehofer (CSU), a annoncé que le suspect avait été interpellé dans le nord de l’Irak par des forces de sécurité kurdes. « Pour son extradition, ce sont les règles en vigueur qui vont maintenant devoir s’appliquer », a-t-il ajouté, en marge d’une réunion des ministres de l’intérieur des différents Länder, à Quedlinbourg (Saxe-Anhalt).

M. Seehofer sait qu’il joue gros. A une semaine de la présentation de la nouvelle politique du gouvernement en matière de contrôles et d’expulsions des réfugiés, placée sous le mot d’ordre de la fermeté, le chef de file des conservateurs bavarois ne peut pas se permettre le moindre faux pas dans la gestion de l’affaire Susanna F., au risque de voir sa crédibilité sérieusement écornée.