Une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), cela fait toujours mal. Surtout quand il s’agit de la mort d’un homme de 20 ans, touché d’une balle de gendarme dans le dos alors qu’il était assis sur le siège arrière d’une voiture qui tentait d’échapper aux forces de l’ordre. Et plus encore car la cour d’appel d’Amiens et la Cour de cassation ont, l’une après l’autre, estimé que le tir du gendarme était parfaitement justifié. Les juges d’instruction qui avaient demandé le renvoi du gendarme en correctionnelle pour « homicide involontaire par imprudence » avaient été ainsi désavoués.

L’affaire remonte à la nuit du 27 au 28 novembre 2008, alors que les gendarmes prennent en chasse une voiture dont les occupants sont soupçonnés d’avoir volé du carburant et cambriolé un magasin de lavage automobile dans une zone commerciale de l’Oise. Les fuyards sont rattrapés fortuitement, mais le conducteur refuse d’obtempérer aux sommations du gendarme. Il tente même de le renverser volontairement à deux reprises avant d’accélérer pour s’enfuir. C’est alors que l’homme en bleu tire à six reprises avec son arme de service, d’abord en direction des pneus, puis plus haut.

La Cour de Strasbourg juge que la France a violé l’article 2, sur « le droit à la vie », de la Convention européenne des droits de l’homme en affirmant que le recours à la force n’était pas « absolument nécessaire pour procéder à une arrestation régulière ». Elle condamne le gouvernement à verser 30 000 euros à chacun des deux parents de la victime au titre du préjudice moral.

Dans son arrêt du 7 juin, très détaillé, la Cour européenne ne nie pas les difficultés d’intervention des forces de sécurité lorsqu’il s’agit d’interpeller des personnes dans de telles circonstances, de nuit, avec une voiture qui fait des manœuvres dangereuses. Mais elle répond point par point aux arguments de Paris qui avaient emporté la conviction des juridictions françaises. « Un vrai camouflet pour la chambre criminelle de la Cour de cassation », commente Alain Monod, l’avocat de la famille.

Pas d’« absolue nécessité »

Les juges de Strasbourg relèvent d’abord que les deux derniers tirs du gendarme (dont l’un a été le coup mortel) ont été exécutés alors que la voiture était tellement éloignée que « les chances de toucher le moteur ou les pneus pour stopper le véhicule étaient pratiquement inexistantes » et que, par conséquent, « le risque était grand de blesser ou tuer certains occupants de la voiture ». Or le gendarme savait que la voiture comptait deux passagers, par définition non responsables des manœuvres du conducteur.

Pour examiner la légitimité du recours au feu, la CEDH intègre dans son raisonnement l’estimation de la dangerosité des occupants du véhicule. Or, ils « étaient soupçonnés d’atteintes aux biens et non d’atteintes aux personnes », et « il n’est aucunement allégué » qu’ils étaient armés, lit-on dans la décision. De plus, au moment du tir mortel, ni la vie ou l’intégrité physique du gendarme ni celles de ses collègues ou d’une autre personne ne « se trouvaient en péril ».

La Cour des droits de l’homme conclut que l’usage par le gendarme de son arme ne répondait pas à « une absolue nécessité » et n’était pas fait « de manière strictement proportionnée ». Elle se réjouit d’ailleurs dans sa décision de voir que ces deux critères centraux de sa jurisprudence ont été inscrits depuis dans le droit français. La loi du 28 février 2017 « relative à la sécurité publique » comporte un chapitre sur l’harmonisation des règles de l’usage d’une arme en situation de légitime défense par les policiers et les gendarmes. Il y est notamment écrit qu’ils ne peuvent faire usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions qu’en cas « d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ».