Le logo de la plate-forme de paiement Alipay, dans un magasin à Pékin, le 8 février 2018. / Jason Lee / REUTERS

C’est la première start-up de la fintech (technologie financière) au monde et aussi la première toutes catégories. Ant Financial est moins connu qu’Uber, son dauphin sur le podium des start-up mondiales. Pourtant, il pèse désormais 150 milliards de dollars (127 milliards d’euros), plus de deux fois la valeur de la plate-forme de VTC américaine. Ant Financial, le bras financier du géant chinois du commerce en ligne Alibaba, a reçu 14 milliards de dollars, lors de deux tours de table en yuans et en dollars, rassemblant les plus grands fonds d’investissement chinois et internationaux.

L’entreprise va pouvoir se développer confortablement. Elle pourra résister à la concurrence de WeChat Pay, le portefeuille électronique de Tencent, le réseau social numéro un en Chine avec 1 milliard d’utilisateurs, qui lui prend des parts de marché dans les paiements mobiles, et développe sa propre offre financière. Ant souhaite aussi se développer à l’étranger, notamment en Asie, et pourra compter sur certains de ses investisseurs, comme Temasek, le fonds souverain singapourien.

Ant Financial est plus connu en Chine sous le nom d’« Alipay », le portefeuille électronique d’Alibaba. Au départ un simple service destiné à faciliter les paiements en ligne sur les plates-formes d’e-commerce du géant chinois, Alipay a gagné en importance au début des années 2010 avec la démocratisation des smartphones. Alipay et ses codes QR (en deux dimensions) sont devenus des outils de la vie courante pour payer dans les magasins. Depuis 2014, l’arrivée de la concurrence de WeChat Pay a accéléré le développement des paiements en ligne. Au point qu’aujourd’hui, beaucoup de consommateurs chinois n’utilisent plus d’espèces dans leur vie quotidienne.

« Nos chiffres montrent qu’en 2010, 60 % des achats étaient faits en cash en Chine, et nous estimons que cela va tomber à 30 % en 2020. C’est un changement radical pour un pays comme la Chine qui utilisait énormément les espèces, et Ant Financial en est largement responsable », explique Zennon Kapron, fondateur du cabinet de conseil financier Kapronasia. Ant Financial, par le biais de l’application Alipay, présente dans les poches de 520 millions de Chinois, a aussi démocratisé l’accès aux produits de gestion de fortune, avec Yu’e Bao, un service simple qui permet de placer leurs économies avec un rendement d’environ 4 %, bien au-dessus de ce que proposent les banques. C’est désormais le plus grand fonds monétaire au monde, avec 265 milliards de dollars d’actifs.

Changement de stratégie

Alipay propose aussi un service de crédit, adossé à un système de notation appelé Sesame, qui analyse les masses de données des utilisateurs d’Alibaba pour évaluer leur solvabilité. « Ils ont aussi eu un impact sur tout le secteur financier : les banques se sont mises à proposer des produits plus flexibles : vous pouvez investir aujourd’hui, gagner des intérêts demain, et retirer vos fonds aussitôt. Rien à voir avec ce qu’offraient les banques chinoises il y a dix ans ! », note Zennon Kapron.

Mais Ant Financial est devenu trop gros pour être laissé tranquille par les autorités, qui s’inquiètent de la montée des risques financiers. Selon plusieurs articles, les autorités chinoises s’apprêteraient à introduire de nouvelles règles pour le secteur de la fintech, imposant aux grandes plates-formes d’obtenir des licences de la banque centrale chinoise, et de mettre des fonds en réserve pour garantir les dépôts des clients. « Ils ont commencé en tant qu’entreprise de haute technologie, ce qui leur a permis d’évoluer dans un secteur peu régulé et de se développer vite. Ils ont construit la technologie, et ont incorporé des services financiers ensuite », explique Hao Hong, directeur de la stratégie de BoCom, la maison de courtage de la Banque des communications.

Les plus de 14 milliards de cash apportés par les investisseurs devraient permettre à Ant Financial d’encaisser ces changements réglementaires à venir. D’après Reuters, l’entreprise prévoirait aussi un changement de stratégie pour mettre l’accent sur l’offre de services technologiques aux entreprises, notamment financières : outils de lutte contre la fraude, outils de gestion des risques financiers… D’après des documents internes, Ant Financial espère que les services, qui représentent 34 % de son chiffre d’affaires actuel, atteignent 65 % d’ici cinq ans. « Si vous dites que vous êtes une entreprise de technologie, vous êtes moins contrôlé par les régulateurs », pointe Hao Hong.