Cent trente-quatre morts, 1 300 blessés et plus d’une centaine de disparus. Tel est le bilan, à la date du jeudi 7 juin, des manifestations contre le régime de Daniel Ortega au Nicaragua, selon le Centre nicaraguayen des droits de l’homme. C’est pour dénoncer cette violence et sensibiliser la communauté internationale qu’une Caravane de solidarité internationale avec le Nicaragua, intégrée par trois militantes, se trouve actuellement en France.

L’une d’elles, Madelaine Caracas, porte-parole de la Coordination universitaire pour la démocratie et la justice, fait partie d’un groupe de treize étudiants pour lesquels la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a émis des « mesures de protection » le 21 mai. La CIDH a estimé que « leurs droits à la vie et leur intégrité personnelle sont en danger ». Madelaine Caracas a reçu de nombreuses menaces de mort, mais aussi de viol, et a été suivie dans la rue par des personnes à motos ou en camionnette.

Ces mesures obligent, en principe, les Etats membres à assurer la protection des personnes concernées. « Cela ne me rassure pas du tout, soupire la jeune fille de 20 ans, étudiante en communication à l’université centre-américaine de Managua, lors de son passage à Paris. La police qui est censée me protéger est celle-là même qui nous poursuit et nous assassine. »

« Etre jeune et oser parler, c’est vu comme un danger à éliminer »

« Le régime d’Ortega, poursuit-elle, a installé un régime de terreur, un système répressif et violent contre tous ceux qui critiquent son action. Etre jeune et oser parler, c’est vu par le gouvernement comme un danger à éliminer. »

La jeune fille a participé à la première manifestation étudiante, organisée le 18 avril devant son université, contre l’annonce d’une réforme des retraites, pendant laquelle « des policiers ont frappé avec des tubes de métal et des groupes parapoliciers avec des armes blanches et des pierres ». Les jours suivants, tout le pays s’embrasait et les premiers manifestants étaient tués.

« Les étudiants ne sont pas les seuls acteurs de cette révolte, précise Madelaine Caracas, il y a aussi les paysans, les indigènes qui s’indignent contre la concession de terres à des entreprises chinoises, les femmes qui dénoncent le manque de mesures contre les féminicides… »

Les défenseurs du régime de Daniel Ortega considèrent que les étudiants sont manipulés par des forces « impérialistes » qui veulent renverser cet ancien révolutionnaire du Front sandiniste de libération nationale, qui a permis de mettre fin, en 1979, à la dictature de la famille Somoza. M. Ortega a par la suite été président entre 1979 et 1990, puis de nouveau, de manière ininterrompue, depuis 2007.

« Croire cela, c’est ignorer la mutation opérée par le gouvernement Ortega, qui a pactisé avec la droite et a adopté, lors de ces onze années au pouvoir, une logique capitaliste néolibérale, dénonce une autre membre de la Caravane, Yerling Aguilera, 26 ans, sociologue et militante des droits des femmes et de la gauche politique. Le régime de Daniel Ortega a détourné l’idéal d’une lutte historique, le sandinisme. Aujourd’hui, 30 % de ceux qui s’identifient comme sandinistes veulent son départ. »

Sanctions diplomatiques américaines

Les trois femmes, qui se sont déjà rendues au Danemark, en Suède et en Belgique, et prévoient de visiter l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Espagne, espèrent faire comprendre à la communauté européenne « le tournant dictatorial pris par ce gouvernement pourtant issu des masses révolutionnaires ». Elles réclament une commission interdisciplinaire pour juger les crimes commis, le départ du président Ortega et des élections anticipées.

Tout au long de leur périple, financé en partie par la diaspora nicaraguayenne, elles ont rencontré des responsables politiques, des ONG comme Amnesty International, des parlementaires. En France, elles ont été reçues par Jean-Yves Leconte, sénateur PS représentant les Français établis à l’étranger et membre du groupe d’amitié France-Mexique-Pays d’Amérique centrale.

Les réactions internationales ne sont, pour l’instant, pas, estiment-elles, à la hauteur de leurs attentes. Mardi 5 juin, l’assemblée générale de l’Organisation des Etats américains a adopté une déclaration « en soutien au peuple nicaraguayen », dans laquelle elle exhorte le gouvernement et tous les membres de la société à dialoguer de manière constructive. « Mais elle n’a pas désigné explicitement Ortega comme responsable des massacres », regrette la troisième membre de la Caravane, Jessica Cisneros, 25 ans, fondatrice du Mouvement civique des jeunesses.

La seule réaction percutante est venue, jeudi, des Etats-Unis, qui ont annoncé des sanctions diplomatiques contre des responsables de la police et de certaines municipalités ainsi qu’un cadre du ministère de la santé pour des violations des droits de l’homme et un travail de « sape de la démocratie ».

Jeudi 7 juin, la Conférence épiscopale, qui s’est posée en médiatrice de la crise en essayant de mettre face à face le gouvernement et l’opposition, a présenté au président nicaraguayen une proposition pour démocratiser le pays, tandis que les protestataires continuaient samedi de bloquer les rues des grandes villes ainsi que plusieurs axes routiers importants.

Les trois jeunes femmes craignent des représailles lorsqu’elles retourneront au Nicaragua, à une date qu’elles préfèrent ne pas préciser. « Toutes les trois sommes en danger », alertent-elles. Une manifestation de soutien est prévue, dimanche 10 juin, place de la République à Paris.