Documentaire sur France 5 à 22 h 40

L’actrice Gila Almagor. / FRANCE 5

C’est derrière une grande table en bois au fond d’une « caverne », le Café Israël, à Jaffa, que Serge Moati raconte l’histoire de l’Etat hébreu. A voix basse, il retrace avec beaucoup de tendresse les soixante-dix ans de ce pays, comme on chuchoterait à l’oreille un conte merveilleux à l’issue tragique.

Dans ce cadre intimiste, le réalisateur retrouve sa cousine, arrivée à Jérusalem en 1950 à l’âge d’un an, avec son père, ardent sioniste ayant quitté la Tunisie pour fonder « un nouveau pays ».

L’écrivain Meir Shalev, le diplomate Daniel Shek, l’actrice de cinéma Gila Almagor, les anciens du Shin Bet Carmi Gillon et Ami Ayalon, ainsi que l’écrivain israélien arabe Ibrahim Abd El Kader, le rejoignent également derrière cette table, donnant chacun leurs impressions sur les événements qui ont marqué l’histoire tourmentée d’Israël, de la déclaration d’indépendance en 1948 aux années Nétanyahou. Les propos de ses interlocuteurs, presque tous nés comme lui au lendemain de la seconde guerre mondiale, sont portés par des images d’archives ainsi que par des photos personnelles.

Précautions sémantiques

La proximité que Serge Moati entretient avec eux – il finit par tous les tutoyer – est touchante. Le réalisateur veut montrer qu’il comprend tout le monde, même ceux qui tiennent un discours irrationnel. Ainsi, lorsque Daniella Weiss, la chef de file du Goush Emounim, mouvement politique et messianique israélien créé en 1974 afin d’établir des colonies juives en Cisjordanie (Judée-Samarie biblique), lui dit que c’est le Bon Dieu qui lui a commandé de quitter Tel-Aviv pour s’implanter en Samarie, Serge Moati lui demande, les paumes ouvertes : « Comment il t’a parlé, Dieu ? ».

S’il la pousse dans ses retranchements, lui rétorquant que ce n’est pas Dieu qui a gagné la guerre des Six-Jours, mais l’armée israélienne, le réalisateur tient à ne froisser personne côté israélien. En témoignent les précautions sémantiques auxquelles il recourt lorsqu’il évoque la colonisation dans les territoires palestiniens occupés : « Ce qu’on nomme “implantation” si on est de droite, “colonisation” si on est de gauche. »

Mise en scène rappelant la Cène

Avec la même naïveté assumée, Serge Moati interroge ses interlocuteurs israéliens arabes. Un procédé qui se révèle moins efficace, sinon gênant, notamment lorsqu’il demande à l’écrivain Ibrahim Abd El Kader : « Et c’est ça que vous appelez la“Nakba” ? Et c’est les Israéliens qui ont fait tout ça ? C’est eux qui vous ont chassés ? »

Non content de dialoguer avec les uns et les autres, le réalisateur les réunit à l’occasion d’un déjeuner au Café Israël, préparé par la cuisinière israélienne arabe Myassar Seri. Placé au milieu de la tablée, dans une mise en scène rappelant curieusement la Cène, Serge Moati invite ses convives à parler de leur tragédie respective.

Daniela Weiss, chef de file du mouvement Goush Emounim. / © BELVÉDÈRE PRODUCTIONS

Sans acrimonie, la professeure d’arabe Hannanin Majadle lui fait remarquer que, s’il y a bien deux tragédies, « la tragédie palestinienne est un peu la conséquence de la tragédie juive ». Ce à quoi Tsvia Walden, la fille de Shimon Peres, répond que si « ça ne coûte rien de reconnaître que les Palestiniens ont vécu un drame, on ne compare pas les drames ».

Ces moments fraternels accentuent le caractère mélancolique qui habite ce film. Comme Daniel Shek et le journaliste Daniel Bensimon, Serge Moati regrette l’échec des accords d’Oslo de 1993. Chargeant la politique de « Bibi » Nétanyahou, il renvoie dos à dos les colons et le Hamas, qui ont, selon lui, compromis les chances de paix en invitant Dieu à la table des négociations.

Il était une fois, Israël… de Serge Moati (Fr., 2018, 55 min).