Yann Bisiou est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, spécialiste du droit de la drogue à l’université Paul-Valéry-Montpellier-3. Il décrypte le succès du cannabis « légal » alors que des boutiques ouvrent partout en France.

Comment expliquer la multiplication, ces dernières semaines, de boutiques vendant du cannabis sans THC (la substance psychoactive du cannabis interdite par la loi) ? La législation a-t-elle changé ?

Non, elle n’a pas changé. C’est la conséquence d’un effet de mode et du développement d’une industrie et d’un commerce de produits à base de CBD [le cannabidiol, une autre molécule du cannabis, non prohibée] dans plusieurs pays européens. L’arrivée de ces produits sur le marché français n’a pas été anticipée alors que leur statut est juridiquement complexe.

Ces produits, souvent qualifiés de « cannabis légal », sont-ils autorisés par la loi ?

Le CBD n’est pas classé comme stupéfiant car ce n’en est pas un. S’il y avait une raison de le classer, cela aurait déjà été fait. Mais c’est un dérivé du cannabis et, à ce titre, il doit être soumis à autorisation, comme l’est le chanvre à destination de l’industrie textile ou du bâtiment. D’où l’ambiguïté de la situation actuelle : ni interdit ni autorisé.

Pourrait-il y avoir des poursuites ?

L’Etat pouvait organiser le commerce du CBD, mais ne l’a pas fait et cherche actuellement quelle réponse lui apporter. Les forces de l’ordre ne savent pas quelle attitude adopter et demandent à ce qu’on leur donne un cadre. Les douaniers seraient notamment très actifs pour faire interdire l’importation de CBD.

Des agriculteurs hésiteraient à se lancer…

Juridiquement ils le pourraient mais il y a toujours un risque d’être poursuivi et sanctionné pour trafic de stupéfiants. Difficile pour un producteur de chanvre de se lancer avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Les vendeurs se montrent extrêmement prudents…

Ils savent qu’il leur est interdit de vendre un produit ayant des vertus thérapeutiques sans être pharmacien. Il ne faut pas non plus jouer sur l’interdit et faire croire qu’il s’agit d’un substitut au cannabis, ce qui pourrait conduire à des poursuites pour présentation de stupéfiants sous un jour favorable ou provocation à l’usage de stupéfiants.

La loi fait-elle une distinction entre ce qui est vendu sous forme de liquide pour le vapotage et ce qui est sous forme de feuilles et de fleurs ?

Si c’est de la plante, ce n’est pas du CBD, c’est un stupéfiant. La Cour de cassation a
rappelé en 2009 que le droit français classe « le cannabis et la résine de cannabis sans opérer de distinction ». Vendre des fleurs est donc interdit, même si c’est avec moins de 0,2 % de THC.