Le docteur Oly Ilunga, ministre de la santé de République démocratique du Congo, lors du lancement de la campagne de vaccination contre Ebola, à Mbandaka (nord-est), le 21 mai 2018. / JUNIOR D. KANNAH / AFP

La République démocratique du Congo (RDC) fait face à une nouvelle épidémie de maladie à virus Ebola. Déclarée par les autorités le 8 mai, celle-ci touche des zones reculées de la province de l’Equateur, dans le nord-est du pays. Quelques cas ont été recensés à Mbandaka, la capitale provinciale, mais ce sont principalement des villages lovés dans l’immense forêt équatoriale qui sont concernés par cette neuvième épidémie frappant la RDC.

La difficulté d’accéder à ces territoires a compliqué la riposte coordonnée par le gouvernement congolais, qui s’est montré efficace et réactif. Ce qui peut surprendre dans un contexte de crise politique aiguë provoquée par le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila malgré la fin de son second mandat en décembre 2016 et par les multiples reports des élections, désormais censées se tenir le 23 décembre.

En visite éclair, dimanche 10 juin, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom, a déclaré être « prudemment optimiste » et persuadé que « nous allons pouvoir en finir très bientôt » avec Ebola. Pour le moment, à la date du 9 juin, 66 cas de fièvre hémorragique ont été signalés dans la région, dont 38 confirmés, et 28 décès ont été enregistrés, selon les autorités congolaises. Cette fois, les vaccins étaient prêts et ont été administrés à un millier de personnes, en priorité au personnel soignant et aux habitants ayant été en contact avec des malades.

Un peu plus d’un mois après la déclaration officielle de l’épidémie, le ministre congolais de la santé, Oly Ilunga, médecin de formation, revient sur les conditions et les modalités de la réaction face à Ebola.

Quelle est la particularité de cette neuvième épidémie de maladie à virus Ebola en RDC ?

Oly Ilunga Elle a démarré dans une région rurale, à Bikoro et à Iboko. Ces deux zones de santé sont très proches de la capitale provinciale, Mbandaka, ville de plus d’un million d’habitants. Donc, pour nous, c’était un risque majeur d’avoir un développement de cette épidémie dans un espace urbain et connecté par le fleuve Congo à d’autres grandes villes dont la capitale, Kinshasa. C’était inhabituel et cela constituait un risque important qu’il a fallu contrer dans l’urgence. Ensuite, des professionnels de santé ont été infectés, ce qui a été un facteur d’amplification énorme. Donc il a fallu traiter cette épidémie différemment et mettre en place une riposte très rapide et très énergique pour éviter la catastrophe.

Comment avez-vous réagi et quelles ont été les principales mesures de cette riposte ?

Dans les premières vingt-quatre heures, nous avons dépêché une équipe d’épidémiologistes sur le terrain. Nous avons aussi déployé un laboratoire afin d’effectuer les tests sur place dans des délais courts. Ce qui nous a permis de gagner du temps et de prendre des décisions rapidement. Nous avons également mis en place un système de surveillance, de suivi des contacts et un dispositif de prise en charge en moins d’une semaine. Du coup, quand le directeur général de l’OMS s’est rendu sur place près d’une semaine après la déclaration de l’épidémie, il était surpris de voir que toutes les composantes de la riposte étaient déjà déployées sur le terrain. Il fallait juste commencer à monter en puissance. Ce que nous avons fait ensemble.

La situation semble toujours très volatile et les experts sur place restent prudents. Des cas suspects ou confirmés ont été détectés chaque jour ou presque dans la zone d’Itipo ces dernières semaines. Quelle analyse faites-vous de la situation ?

Epidémiologiquement, on assiste à une phase de baisse, mais il faut rester dans l’expectative tant que des personnes ont été en contact avec des patients atteints du virus Ebola. La période d’incubation de vingt et un jours n’est pas terminée et nous restons vigilants. Mais je pense qu’à ce stade on peut dire que la chaîne de transmission a été bien identifiée et est relativement contrôlée, même si le suivi de certains contacts en milieu rural reste difficile. Les foyers sont désormais repérés et sont sous étroite surveillance.

Le 13 mai 2018 dans le centre de santé de Bikoro (province de l’Equateur), en République démocratique du Congo, où ont été détéctés plusieurs cas d’Ebola. / MARK NAFTALIN / AFP

Comment se passe la collaboration des autorités congolaises avec les partenaires internationaux ?

Dès le départ, toute la coordination s’est passée sous le leadership du gouvernement. J’ai tenu à ce qu’il n’y ait pas trop d’ONG sur le terrain, car nous n’avons pas besoin d’humanitaires mais d’acteurs dotés d’une expertise médicale, épidémiologique et logistique que le gouvernement n’a pas. Nous avons été très sélectifs afin d’éviter une cacophonie sur le terrain et de permettre une coordination efficace.

La Mission des Nations unies en RDC [Monusco] a mis en place un pont aérien entre Kinshasa et Mbandaka, d’où un hélicoptère a permis d’atteindre les zones reculées, d’y acheminer du matériel médical et du personnel. Pour ce qui est de l’OMS et de Médecins sans frontières [MSF], nos deux principaux partenaires, nous nous sommes réparti les rôles et le gouvernement a coordonné. Et sur le plan de la prise en charge psychosociale, nous avons mobilisé et privilégié les organisations de la société civile congolaise.

Le gouvernement congolais a appelé au départ de la Monusco et a boycotté la conférence des donateurs pour la RDC qui s’est tenue en avril à Genève. Cette fois, pour faire face à Ebola, vous semblez avoir accueilli l’aide internationale à bras ouverts…

Cette riposte, c’est la riposte du gouvernement. Nous avons accepté la collaboration de partenaires triés sur le volet pour leur expertise reconnue, selon des accords bien précis. Des protocoles de prise en charge des patients ont été discutés lors de comités techniques conjoints. Il était hors de question que des partenaires arrivent avec leurs propres règles. Pour moi, c’était très clair. Ils participaient au plan de riposte du gouvernement et non l’inverse. Ce qui n’était pas le cas avec la préparation de la conférence de Genève, où il y avait des difficultés de concertation avec les acteurs politiques et humanitaires.

Quid des vaccins expérimentés sur le terrain ? L’OMS et MSF administrent le traitement ZMapp, qui avait été testé lors de l’épisode Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Le traitement mAb114, basé sur les travaux du professeur congolais Jean-Jacques Muyembe, pionnier de la recherche sur Ebola, sera-t-il testé au cours de cette épidémie ?

Toute la question de la recherche dans l’urgence d’une épidémie est de donner à des malades une chance de guérir tout en améliorant le savoir. Il s’agit de respecter des règles éthiques et scientifiques très strictes. Un comité scientifique international a retenu cinq traitements susceptibles d’être proposés. Le mAb114 en fait partie. La RDC l’a accepté. Mais j’ai exigé que le protocole d’administration soit très clair et ne laisse pas d’espace au moindre doute. A ce stade, ce protocole d’administration doit encore être perfectionné. Compte tenu de l’évolution de la courbe épidémiologique, je ne pense pas que nous aurons l’occasion de tester beaucoup de molécules, et le mAb114 ne devrait donc pas être administré.

Ebola s’est déclaré dans des zones reculées où le système de santé est à terre, faute de moyens et de matériel. Vous avez décrété la gratuité des soins pour six mois dans la province de l’Equateur. A quoi cela sert-il s’il n’y a pas de médicaments ni de médecins dans les centres de santé ?

Le système de santé est fragile, certes, mais nous le renforçons. Nous avons déployé plus de 60 tonnes de médicaments dans les hôpitaux publics. Le gouvernement, avec le soutien financier de la Banque mondiale, a un plan de résilience. Il ne faut pas prendre le risque de transformer une crise épidémiologique en une crise humanitaire, et nous travaillons pour que les interventions dans le cadre de la riposte anti-Ebola ne déstabilisent pas les communautés et profitent au dispositif sanitaire.

Le Projet de développement du système de santé [PDSS, créé en 2015] a été doté d’un budget de près de 15 millions de dollars [environ 12,7 millions d’euros], auxquels s’ajoutent plus de 4 millions de dollars du gouvernement, pour la riposte dont le budget total s’élève à 56,8 millions de dollars. Nous avons réservé près de 4 millions de dollars pour la résilience du système de santé et nous pensons déjà l’après-Ebola.

En République démocratique du Congo, l’épidémie d’Ebola inquiète