Dans une plantation dans le sud-ouest du Nigeria, en juin 2018. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Gratte-ciel de plus de 100 mètres de haut bâti grâce aux revenus de l’exportation des fèves, la Maison du cacao d’Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria, était dans les années 1960 le plus grand immeuble de tout le pays. A l’image d’un secteur trop longtemps négligé, elle n’est désormais plus que l’ombre de sa splendeur passée : la peinture se fane, le toit s’effondre et les bureaux sont vides.

« La Maison du cacao était la gloire de la région Ouest », qui couvrait près d’un tiers du pays, explique Pa Olusina Adebiyi, un ancien employé de l’immeuble âgé de 85 ans. « C’est devenu un taudis à l’abandon. » Avant la découverte de pétrole dans les années 1970, l’agriculture employait près de 70 % de la population active et le Nigeria était le deuxième producteur de cacao au monde. Eclipsé depuis par les milliards de dollars générés par les hydrocarbures, le secteur a connu un lent déclin.

Une nouvelle politique agricole

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le pays a produit 237 000 tonnes de cacao en 2016. Un résultat bien maigre comparé à ceux de la Côte d’Ivoire (1,47 million de tonnes) ou du Ghana (859 000 tonnes).

Le gouvernement du président Muhammadu Buhari essaie aujourd’hui de redynamiser l’agriculture pour diversifier une économie dépendante de l’or noir (90 % des revenus d’exportation, 70 % des recettes de l’Etat), qui sort péniblement d’une récession liée à l’effondrement des cours du baril.

La Maison du cacao à Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria, en juin 2018. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Après avoir été « la ressource la plus négligée » du pays, le cacao est désormais au cœur de la nouvelle politique agricole, explique à l’AFP Sayina Riman, président de l’Association cacaoyère du Nigeria (CAN), qui a proposé au gouvernement un plan d’action sur dix ans. « Nous avons fait des recommandations qui peuvent changer l’histoire du cacao au Nigeria, en espérant qu’elles soient mises en place », précise-t-il.

Le Nigeria connaît deux récoltes par an : une petite d’avril à juin et la principale d’octobre à décembre. Sur sa ferme de trois hectares, près du village de Sofolu (Etat d’Ogun), Oluranti Adeboye détache des arbres les cabosses mûres à l’aide d’une machette et d’un bâton. « Le temps a été bon cette année, les pluies précoces ont stimulé ma récolte », raconte cet ancien fonctionnaire de 62 ans. « Ces cosses de cacao sont meilleures que ce que j’ai eu la saison dernière. »

Torse nu, il ramasse péniblement les fruits et les regroupe dans des sacs où ils devront fermenter plusieurs jours avant de sécher au soleil. Ils partiront ensuite pour être vendus à l’export. Chaque année, les paysans nigérians perdent une grande partie de leur production à cause des parasites et de la maladie de la cosse noire – un champignon qui affecte les cacaoyers. « Ces arbres ont été plantés il y a plus de dix ans. Ils sont vieux et fatigués. Nous avons besoin de nouveaux semis et de variétés améliorées mais nous n’avons pas les ressources nécessaires », regrette Oluranti Adeboye.

Moderniser ses méthodes de culture

Sunday Ojo Folorunso, installé dans l’Etat voisin d’Ondo, se plaint, lui, de l’absence de débouchés pour les petits producteurs, ainsi que du prix du kilo de cacao vendu à la ferme : 650 nairas (1,5 euro), « trop peu par rapport aux efforts consentis ».

Les chercheurs estiment que le pays devrait moderniser ses méthodes de culture, encourager l’utilisation de meilleurs semis, d’engrais et de pesticides. « Il y a un bel avenir pour l’industrie [du cacao] au Nigeria, affirme Ranjana Bhattacharjee, chercheur à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) d’Ibadan. Si on les assiste, les agriculteurs pourraient passer de 300 kg par hectare en moyenne à 800 kg par hectare, pour améliorer leurs revenus. »

D’après M. Bhattacharjee, le Nigeria pourrait aussi s’inspirer de la Côte d’Ivoire et du Ghana, qui produisent du chocolat et d’autres produits finis à partir de leur cacao, dégageant ainsi de meilleurs revenus. Plus de vingt usines de transformation existaient autrefois dans le pays, mais l’absence d’investissements et le manque d’électricité pour les faire fonctionner ont réduit leur nombre à trois.

Selon un scientifique de l’Institut nigérian de recherche sur le cacao (CRIN, organisme public), la recherche a elle aussi cruellement souffert de la négligence chronique de l’Etat. « Au CRIN, vous trouverez des arbres si âgés qu’ils ne produisent plus, confie-t-il sous couvert d’anonymat. Certains d’entre eux sont aussi vieux que l’institut lui-même », créé… il y a plus de soixante ans.