Le navire affrété par l’ONG française SOS-Méditerranée est le dernier à opérer des sauvetages en Méditerranée. / Darko Bandic / AP

L’Espagne a annoncé, lundi 11 juin, être prête à accueillir l’Aquarius, le navire de l’ONG française SOS-Méditerranée immobilisé entre les îles sicilienne et maltaise. L’Italie et Malte ont successivement renoncé à ouvrir leurs eaux territoriales, et a fortiori leurs ports, à ce bateau et ses 629 passagers partis de Libye.

A quelles conditions peut-on opposer un tel refus ? La convention des Nations unies du droit de la mer recèle quelques ambiguïtés.

La localisation est primordiale

Tout d’abord, la localisation du navire humanitaire est capitale, note Thibault Fleury-Graff, professeur de droit public, spécialiste du droit international et des migrations à l’université Rennes-I et membre du collectif Les Surligneurs.

Selon que le bateau se trouve dans les eaux territoriales (jusqu’à 12 milles marins des côtes, soit 22,2 kilomètres) d’un Etat ou dans les eaux internationales, des juridictions différentes s’appliquent.

« L’Aquarius a reçu l’instruction du centre de coordination des secours maritimes italien (IMRCC) de rester en stand-by à sa position actuelle, soit 35 milles nautiques de l’Italie et 27 milles nautiques de Malte », a tweeté l’ONG SOS-Méditerranée dimanche dans la nuit.

La position géographique du bateau incarne l’enjeu de la tension entre Malte et l’Italie. Conformément à la convention Search and Rescue (SAR) de 1979, dont l’objectif est de coordonner la recherche et le secours en mer, chaque Etat est doté d’une zone de recherche des navires en détresse.

La notion de « passage inoffensif »

« Les Etats sont obligés de coopérer pour trouver une place sûre pour débarquer les migrants secourus dans leur zone de recherche et de sauvetage », a expliqué le porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Leonard Doyle, citant des experts juridiques.

Le problème, c’est que l’Aquarius a passé la journée de lundi dans une zone SAR commune à Rome et La Valette. Cela peut expliquer le fait que l’Italie et Malte se soient renvoyé la balle.

Le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, n’a pas mis de texte juridique en avant pour appuyer sa décision d’interdire à l’Aquarius l’accès à ses ports.

Selon M. Fleury-Graff, c’est la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay (1982), qui fait autorité. Celle-ci régit notamment le droit au « passage inoffensif dans la mer territoriale ».

L’article 17 de cette convention dispose que « les navires de tous les Etats (…) jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale ». Les articles 18 et 19 définissent cette notion de « passage inoffensif ». Mais ils laissent place à « une certaine ambiguïté », selon M. Fleury-Graff.

« Zone grise du droit »

A propos de l’arrimage de navires dits « inoffensifs », le premier article dispose qu’« on entend par passage (…) se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter, ou faire escale dans une (…) installation portuaire ou la quitter. (…) Le passage comprend l’arrêt et le mouillage, mais seulement (…) par suite d’un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse. »

Les 600 migrants à bord du navire ayant été secourus, ils pourraient ne plus être considérés, par les autorités italiennes, comme étant en situation de détresse.

L’Aquarius est-il « inoffensif » ? « C’est là que l’interprétation de Rome devient capitale : on est dans une zone grise du droit », estime le spécialiste de l’asile et de l’immigration. En droit international, « le passage est inoffensif tant qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’Etat côtier », selon l’article 19 de la convention de Montego Bay. Ces atteintes peuvent concerner la menace de son « intégrité territoriale ou [son] indépendance politique », mais également ses « règlements (…) d’immigration ».

Le navire de SOS-Méditerranée enfreint-il ces règles internationales ? C’est ce que semble penser M. Salvini, qui a déclaré, vendredi 8 juin, que les ONG intervenant en Méditerranée agissaient « comme des taxis ». Convaincu que « certaines [ONG] font du bénévolat » mais que « d’autres font des affaires », il a réclamé une intervention de l’OTAN. Avant de prendre les devants vingt-quatre heures plus tard.