Film sur Ciné+ Club à 20 h 45

L'ÉCONOMIE DU COUPLE Bande Annonce (Bérénice Bejo - 2016)
Durée : 01:50

Redoutable cinéaste que Joachim Lafosse, qui a choisi comme terrain d’élection la perversion, en tant qu’elle gouvernerait les rapports humains et, parmi eux, les plus nobles, bien entendu : l’amour, l’amitié, le don. Nue propriété (2006) faisait de deux frères les bourreaux d’une mère divorcée et consentante. Elève libre (2008) stigmatisait la transformation des idéaux de libération sexuelle hérités de 1968 en un pur moyen d’asservissement. A perdre la raison (2012) racontait un couple manipulé par un pervers paternaliste, avec infanticide à la clé. Les Chevaliers blancs (2015) décrivait les humanitaires occidentaux en Afrique comme d’insouciants prédateurs.

Souvent inspiré de faits divers, rompu à l’art de déceler et de mettre en valeur le trait qui corrompt, doué d’une indéniable subtilité, voilà un cinéma intelligemment désagréable, diabolique en son espèce, qui, fort de sa justesse d’observation, semble incessamment interpeller le spectateur en lui demandant de le détromper, s’il peut. Et bien sûr qu’on pourrait, si les règles du jeu et les joueurs n’étaient évidemment déterminés par le cinéaste. A cette école de la lucidité sarcastique et du désenchantement amer, sur un thème pourtant mille fois rebattu, Joachim Lafosse parvient encore à nous désespérer avec L’Economie d’un couple, peinture triviale et en huis clos d’une inexorable séparation entre un homme et une femme, parents de deux fillettes.

Une lutte âpre et sordide

Tout le film, tourné en intérieur et en plans-séquences, se déroule dans une maison, qui joue de fait un rôle central dans la déliaison que le spectateur est invité à constater. Marie (Bérénice Bejo), dont la famille a de l’argent, la tient de ses parents et l’entretient avec son salaire. Boris, d’origine plus modeste et sans emploi, y a toutefois apporté les embellissements et les travaux nécessaires lors de leur installation. Aujourd’hui que le désamour les monte l’un contre l’autre, ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la part de la maison qui leur revient à chacun. Boris, sans le sou, ne peut de toute façon se reloger. Alors ils y restent, s’y accrochent, y manœuvrent et s’y déchirent devant les deux fillettes, qui sont les fruits de leur amour. Elle voudrait tout contrôler des modalités de la séparation. Il laisse dire, n’en fait qu’à sa tête, espère peut-être renverser la vapeur.

Cédric Kahn et Bérénice Bejo dans « L’Economie du couple », de Joachim Lafosse. / CINÉ+ CLUB

La chronique de la désintégration conjugale qu’en tire le film met un point d’honneur à ne jamais dévier de cette lutte, âpre, sordide, où chacun défend à sa façon son honneur et sa raison. Les scènes se succèdent, que tout membre d’une cellule familiale en voie de dissolution se jurerait d’avoir vues ou vécues, à la virgule et au geste près. L’humiliation devant les amis qui ont choisi leur camp, les mots qui salissent, le désir farouche de ne pas céder, la lumière d’une possible réconciliation, la tristesse infinie d’entraîner les enfants dans le désastre.

Cette justesse qui sent le vécu a ceci de particulier qu’elle semble pourtant procéder d’une observation clinique. Aucune beauté, aucune grandeur, aucune folie particulière n’émane d’elle, telles qu’Ingmar Bergman, Philippe Garrel ou Maurice Pialat, grands cinéastes du désamour et de la rupture, parvinrent à en dispenser. Et si l’on sent bien que Joachim Lafosse focalise son propos sur la question de l’argent pour en faire le symptôme d’une cause moins aisément assignable, on ne peut s’empêcher de regretter que cette cause ne puisse autrement s’approcher que sous la forme d’un règlement comptable.

L’Economie du couple, de Joachim Lafosse. Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn (Fr.-Bel, 2016, 100 min).