«  La banque centrale va devoir vendre davantage de bons du trésor, au moment même où la politique de Donald Trump creuse le déficit budgétaire » (Le drapeau américain flotte sur le New York Stock Exchange, à Wall Street). / Mary Altaffer / AP

Pour l’instant, c’est simple, mais ça ne va pas durer. Dans le monde inquiet et confus qui est le nôtre, entre Donald Trump, la Chine, l’Italie, l’Iran et le reste, il suffit pour un investisseur de regarder ce qui se passe aux Etats-Unis pour savoir ce qui va se passer en Bourse. Les Etats-Unis sont devenus la boussole des marchés mondiaux : c’est peut-être plus simple mais ceci ne résout pas tout, loin s’en faut. Mais les choses pourraient changer...

La situation est particulièrement confuse car les Etats-Unis entrent actuellement dans un territoire compliqué, celui de la prolongation de leur cycle économique, et où la Banque centrale européenne (BCE) va cesser sa politique monétaire ultra-accomodante qui consiste à acheter des bons du trésor.

Le Dow Jones reparti vers le seuil des 25 000 points

D’abord, bonne nouvelle, les Etats-Unis continuent d’expliquer aux intervenants sur les marchés d’actions qu’une croissance potentielle plus forte est toujours possible, donc que des profits plus hauts sont atteignables ! Chez eux, et donc partout.

« Le plafond de la croissance potentielle » peut-être repoussé, telle est la teneur de leur message. Voilà des années, en effet, que la croissance économique américaine progresse, repoussant ses « limites ». Elle est à plus de 2,8 % désormais, avec un taux de chômage à 3,8 % et une inflation à 2,5 %, avec des taux court entre 1,5 et 1,75 %.

Tout est prêt pour qu’ils passent à 1,75 - 2 % lors de la réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui s’achèvera le 13 juin, et les Bourses montent toujours. Après un accès de faiblesse, le Dow Jones semble repartir vers le seuil des 25 000 points, et le Nasdaq teste ses records absolus. Même si Facebook est moins le chouchou (+24 % depuis le début de l’année quand même), Apple (+ 25 %), Microsoft (+41 %) et Amazon (+68 %) sont toujours là.

Ensuite, aux Etats-Unis, une montée graduelle des taux courts serait toujours possible. Elle ne ferait pas trop monter les taux longs, même à proximité du plein-emploi ! Ici aussi, les États-Unis font figure de modèle : le « guidage » des marchés par la Fed fonctionne depuis longtemps, avec Jerome Powell comme avec ses prédécesseurs Ben Bernanke et Janet Yellen.

Des chiffres d’inflation inquiétants

Qu’on en juge : les taux américains à 10 ans sont à 2,97 %, ceux à 30 ans à 3,07 % ! Ainsi les marchés financiers relativisent les problèmes mondiaux, et notamment européens, à l’aune de la croissance américaine. Des populistes sont élus en Italie mais 223 000 emplois ont été créés en mai aux Etats-Unis : ceci compense cela !

La nouvelle hausse des taux sera digérée sans problème, la question étant de savoir si une ou deux autres suivront en 2018. Aussi longtemps que la croissance américaine se prolonge, les marchés n’auraient ainsi qu’à se soucier d’elle, avec un regard sur les salaires et sur les prix, mais seulement américains.

Ceci va-t-il durer ? Non, pour deux raisons. Aux Etats-Unis d’abord, la politique monétaire doit nécessairement changer. Les derniers chiffres d’inflation sont inquiétants, avec une hausse du coût salarial unitaire de 2,9 %. La banque centrale va devoir vendre davantage de bons du trésor, au moment même où la politique de Donald Trump creuse le déficit budgétaire.

La remontée des taux longs pour cause de tensions inflationnistes et de réduction du portefeuille de la Fed, ajoutée à la remontée de la volatilité pour cause d’incertitudes politiques, tout cela va rendre la guidance de la Fed moins efficace. John Williams, le nouveau président de la Fed de New York, a d’ailleurs déclaré le 15 mai que la banque centrale américaine « a dépassé sa date de conservation » et Jerome Powell a ajouté, le 25, qu’elle aura désormais un rôle « significativement plus réduit ».

Une remontée des taux longs

Dans un tel contexte, les taux courts devraient remonter à 3 % vers la fin de 2019, soit plus 1,25 % de plus qu’aujourd’hui. Et l’emprunt à dix ans du Trésor américain passerait de 3 % à 3,5 % au moins. Les marchés américains n’y sont clairement pas prêts.

En zone euro aussi, les choses vont changer. Peter Praet, le chef économiste de la BCE, prévient à mots couverts que, le 14 juin, la BCE devrait annoncer quand elle va cesser ses achats, probablement vers la fin de l’année 2018. Les taux devraient remonter vers la mi-2019, ce qui signifie qu’il faudra commencer à vendre des obligations d’Etat vers la fin 2019.

Au fond, les Etats-Unis vont bien, mais ils ont une politique économique et financière qui cumule les risques, en repoussant les limites de la surchauffe, au moment même où leur politique interne et externe est de moins en moins claire, au-delà du bonus fiscal accordé aux entreprises qu’a tant aimé la Bourse. En fait, la zone euro va économiquement mieux. Sa croissance dépasse son potentiel, l’emploi s’améliore, les salaires augmentent de 1,9 % en début d’année.

Tout ceci annonce une remontée des taux longs, au moment même où l’Europe est politiquement secouée, en particulier l’Italie et la Grèce, les deux pays les plus endettés. Moralité : savoir où va la croissance américaine est moins simple qu’avant, savoir où vont les taux moins encore : la boussole des marchés devient plus compliquée. Il ne peut plus suffire de suivre les Etats-Unis, qui vont eux-mêmes devoir innover. Et la question de la convergence à maintenir en zone euro va devenir centrale.