Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, le chef de cabinet de Donald Trump, John Kelly, lors de l’arrivée du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un au sommet de Singapour. / JONATHAN ERNST / REUTERS

Les diplomates occidentaux en sont convaincus. Si les Nord-Coréens ont accepté le principe des négociations directes avec Donald Trump, mardi 12 juin, à Singapour, c’est principalement « grâce aux sanctions prises par l’ONU et à la pression maximale » qu’elles ont exercée sur le régime de Pyongyang.

En un an, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté trois trains de sanctions permettant de réduire de près de 3 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros) les revenus de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Le régime a, notamment, interdiction d’exporter du textile, du charbon, de l’acier ainsi que les produits de sa pêche. En décembre 2017, l’ONU avait aussi limité à 4 millions de barils les livraisons de pétrole à la Corée du Nord et réduit de 75 % son approvisionnement en produits raffinés.

A l’international, les bateaux nord-coréens n’ont plus le droit de s’arrêter dans les ports de la planète et ses travailleurs envoyés à l’étranger – en Chine dans des restaurants, en Sibérie couper du bois ou en Pologne sur des chantiers navals – ont été sommés de rentrer au pays avant 2019. « On a presque tout bloqué », résume un diplomate occidental qui estime que la Corée du Nord a été totalement « corsetée ». « A chaque nouveau tour de lacet, cela mettait les Nord-Coréens dans une colère terrible », explique-t-il.

Changement de stratégie

« En six mois, le changement d’attitude est flagrant », abonde un diplomate du Conseil de sécurité de l’ONU. « Nous sommes passés des discours belliqueux comme lorsque le président Trump promettait “de détruire totalement la Corée du Nord” à cette rencontre historique entre deux leaders qui s’invectivaient encore il n’y a pas si longtemps. »

Derrière les mots, l’ONU a poursuivi la voie diplomatique, renforçant à chaque nouvelle provocation – essai nucléaire ou tirs de missiles balistiques de longue portée – son arsenal de sanctions. « Selon nos estimations, il aurait fallu entre un et deux ans avant un effondrement du régime, explique-t-on auprès d’un Etat membre du comité des sanctions contre la République populaire démocratique de Corée. Notre message indirect était : “Vous pouvez vous effondrer avec votre bombe dans les bras car vous ne pouvez pas prétendre être un Etat nucléaire et une puissance économique.” »

L’impact des sanctions sur l’économie nord-coréenne reste sujet à caution. Difficile d’obtenir des chiffres fiables mais la banque centrale de Séoul estime que l’économie nord-coréenne est étonnamment résiliente et aurait progressé d’en moyenne 1,24 % par an depuis l’arrivée de Kim Jong-un au pouvoir en 2011, faisant même un bond de 4 % en 2016, la plus forte croissance de ces dix-sept dernières années.

L’économie de la RPDC est très dépendante de la Chine, qui représente plus de 80 % de ses échanges commerciaux. Lorsque Pékin a appliqué avec plus de rigueur les sanctions, les conséquences ont été immédiates. « Le commerce avec la Chine est passé de 3 milliards de dollars par an à quelques millions de dollars au premier trimestre de cette année », estime Joseph DeThomas, ancien responsable de l’application des sanctions au département d’Etat. Pyongyang aurait d’abord puisé dans ses réserves pour compenser. « Mais cette stratégie ne pouvait pas durer éternellement. »

Pour l’ex-diplomate, le régime a surtout changé de vision stratégique. « Cela a été frappant lors du sommet du parti des travailleurs en avril, souligne-t-il. Kim Jong-un a annoncé vouloir donner la priorité à la prospérité économique et non plus à la défense. » Un message réitéré, un mois plus tard, auprès du président chinois, Xi Jinping. Lors de cette rencontre, M. Kim aurait assuré vouloir « aboutir à la dénucléarisation et à la paix sur la péninsule coréenne » à la condition d’aboutir à une levée des sanctions.

Pour George Lopez, ancien membre du comité des sanctions de l’ONU, ces dernières « ont joué un rôle ». La peur d’une confrontation militaire avec les Etats-Unis et d’une politique américaine de changement de régime a aussi pu pousser Pyongyang à la table des négociations. « Mais pour 70 %, c’est surtout le changement de statut que M. Kim a atteint en faisant de la RPDC un Etat nucléaire. Les dirigeants antérieurs n’ont jamais eu ce levier. Kim Jong-un est maintenant – peut-être – prêt à utiliser ce pouvoir comme monnaie d’échange dans ses discussions avec les Américains », conclut M. Lopez.