Theresa May a éteint in extremis les feux de la rébellion de députés conservateurs, mais elle leur a apparemment cédé : le Parlement et non le gouvernement devrait avoir le dernier mot, à l’automne, dans l’accord sur le Brexit entre Londres et les Vingt-Sept.

La démocratie parlementaire britannique sort ragaillardie du débat houleux qui a agité Westminster, mardi 12 juin après-midi, mais la première ministre s’en trouve affaiblie. Elle qui menaçait il y a quelques mois de claquer la porte des négociations de Bruxelles si elle n’obtenait pas satisfaction – en répétant que « pas d’accord du tout vaut mieux qu’un mauvais accord » –, se verra privée de ce chantage ultime si elle tient les promesses faites mardi soir aux rebelles pour retenir leur bras.

Le rapport de force, qui tournait déjà largement à l’avantage de l’UE, se trouverait alors encore renforcé. Mais les députés britanniques ont sans doute évité le pire : un défaut d’accord « (« no deal ») qui, en hérissant le pays de barrières douanières, provoquerait une catastrophe économique pour Londres mais aussi, dans une moindre mesure, pour le continent.

Michel Barnier, le chef des négociateurs du Brexit pour l’UE, sait désormais que les députés britanniques, conscients de ce possible cataclysme, ne le laisseront pas survenir. Si Mme May parvient à un accord qui déplaît à la majorité des députés, ou si elle était tentée par le chantage au « no deal », ce sont eux, majoritairement pro-européens, qui prendraient la main cet automne, si leur victoire de mardi à Westminster se confirme.

Tout serait alors possible : contraindre la première ministre à retourner à la table des négociations, déclencher un nouveau référendum sur l’accord de départ lui-même, voire renverser Mme May et provoquer de nouvelles élections. En dehors de telles hypothèses extrêmes, le rapport de force construit avec succès par les députés pro-européens conduit Mme May à abandonner le Brexit dur qu’elle défendait, pour une formule nettement plus conciliante avec Bruxelles.

« Chemin dangereux »

Formellement, la première ministre a sauvé les meubles : aucun des amendements à sa loi sur le retrait de l’UE, destinés à modérer les effets du Brexit et à renforcer le pouvoir du Parlement, n’a trouvé de majorité. Mais, en fin d’après-midi, après un débat électrique, l’amendement le plus corrosif pour le gouvernement était sur le point d’être approuvé par les députés. Downing Street a alors dû promettre in extremis d’en reprendre le contenu à son compte dans le projet de loi lors de la prochaine navette à la Chambre des lords. La quinzaine de députés conservateurs « rebelles » qui s’apprêtaient à l’approuver, ont alors accepté de voter contre ou de s’abstenir. Le gouvernement a promis de « dialoguer » avec eux pour rédiger un nouvel amendement, déposé dans quelques jours chez les Lords.

« L’amendement 19 » rédigé par Douglas Hogg, un Lord conservateur, dit vicomte Hailsham, prévoyait de donner au Parlement un « vote significatif » (« meaningful vote »). Il s’agit d’empêcher Theresa May de signer un accord de retrait de l’UE, qui n’aurait pas l’aval des députés. Faute d’un accord accepté par les élus avant le 30 novembre, il prévoit que le gouvernement devrait suivre les consignes données par le Parlement. « Une absurdité constitutionnelle qui substituerait le Parlement au gouvernement, a tonné Vernon Bogdanor, sommité du droit constitutionnel. Dans toute notre Histoire, jamais le Parlement n’a négocié un traité ! »

L’idée semble désormais sur la table : si les députés n’approuvent pas l’accord négocié par Theresa May avec Bruxelles, ils prendront la barre

Autre sommité en matière juridique, Dominic Grieve, député conservateur et ancien procureur général du Royaume, champion des droits du Parlement sur le Brexit, a pourtant défendu vigoureusement l’« absurdité » lors du débat de mardi. L’énergie qu’il déploie avec la plus extrême des civilités depuis des mois, commence à emporter des adhésions inattendues. Mardi matin, quelques heures avant l’ouverture du débat parlementaire, Philip Lee, le secrétaire d’Etat à la justice, a secoué le monde politique en annonçant qu’il démissionnait de son poste afin de pouvoir voter en faveur de l’amendement Grieve, contre le gouvernement (les ministres restent députés au Royaume-Uni).

« Je veux pouvoir regarder mes enfants dans les yeux » à propos du Brexit, a-t-il expliqué dans une longue lettre d’explication où il exprimait sa crainte que Mme May mène le pays « sur un chemin que l’évidence et un examen rationnel permettent de qualifier de dangereux ». Estimant que « les habitants, l’économie et la culture » de sa circonscription vont pâtir du Brexit et que l’autoritarisme de Mme May « contrevient au principe de la souveraineté parlementaire », ce médecin de 47 ans, député de Bracknell, à l’ouest de Londres, prône un second référendum sur le futur accord avec l’UE.

Son geste semble avoir donné du courage à d’autres élus, et le Telegraph a prédit d’autres démissions du gouvernement, convainquant probablement Mme May d’accepter des concessions. La nature du compromis était tout sauf claire, mardi soir, mais l’idée semble désormais sur la table : si les députés n’approuvent pas l’accord négocié par Mme May avec Bruxelles, ils prendront la barre.

Exaspération

Les europhobes ont immédiatement dénoncé ce scénario, qui relève pour eux de l’anathème et du subterfuge destinés à saper l’autorité de Theresa May et à trahir le Brexit. Affaiblir Mme May ? « C’est un argument ridicule. Cela supposerait que sur le continent, ils ne sont pas au courant que notre gouvernement est divisé ! », a ironisé Kenneth Clarke, vétéran des Tories et europhile passionné, déclenchant les rires des députés. « Je suis un peu fatiguée de ces collègues députés qui me confient dans les couloirs le désespoir sur le Brexit qu’ils n’osent pas exprimer publiquement », a lancé quant à elle Anna Soubry, courageuse « rebelle » conservatrice.

Cette exaspération de certains députés sur l’impasse du Brexit a commencé à se faire entendre mardi. En paraissant leur céder, le gouvernement leur a épargné l’embarras d’une collusion ouverte avec l’opposition. Mais Mme May s’est surtout évité l’humiliation d’une défaite cinglante en pleine négociation avec Bruxelles.