Donald Trump et  Kim Jong-un, à Singapour, le 12 juin. / JONATHAN ERNST / REUTERS

Editorial du « Monde ». Il faudra s’y habituer – ou pas. Quand il traite des affaires du monde, le président américain est imprévisible, brutal et baroque. Après sa sortie fracassante à l’égard de ses « partenaires » du G7, il vient d’en faire une nouvelle démonstration, lors de sa rencontre à Singapour, mardi 12 juin, avec son homologue nord-coréen, Kim Jong-un. Les méthodes de Donald Trump sont donc excentriques.

Mais il peut plaider, et ne s’en prive pas, que toutes les autres avaient échoué auparavant. Et ajouter que sa démarche était nécessaire tant la méfiance est vive entre Washington et Pyongyang, après une guerre qui fit des millions de morts (1950-1953) et des décennies d’hostilité depuis. Parce qu’il voulait la photo avant les résultats, Donald Trump, en homme d’affaires, a jugé qu’il est préférable de se voir pour briser la glace avant de lancer la négociation proprement dite.

De fait, quoi que l’on pense du personnage, on ne peut que partager son constat : les années d’isolement n’ont pas fait céder Pyongyang. La « patience stratégique » prônée par Barack Obama aura été synonyme de pourrissement et de menace supplémentaire sur la sécurité américaine puisque l’héritier de la dynastie des Kim a pu mener à son terme le programme nucléaire que lui avait légué son père. Quant à l’option guerrière avancée par certains conseillers de Trump, elle relève de la folie pure face à une puissance nucléaire et dans une zone de tensions entre grandes puissances.

Volte-face

Le président américain a saisi une ouverture qui n’est pas de son fait. C’est le président sud-coréen, Moon Jae-in, qui, le premier, a tendu la main à Kim Jong-un. Et qui lui a permis de sortir de l’impasse où le plaçaient à la fois les sanctions internationales et l’escalade verbale engagée avec le président américain. L’histoire ne devra pas oublier que, le 3 septembre 2017, le même Trump, tout sourire à Singapour, écrivait sur Twitter : « La Corée du Sud constate, comme je leur ai dit, que leur discours d’apaisement avec la Corée du Nord ne marchera pas, ils ne comprennent qu’une chose ! »

Malgré ces volte-face, malgré la reconnaissance spectaculaire accordée à une dictature qui ignore les droits de l’homme, il convient de saluer le changement de climat qui est désormais à l’œuvre. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les premiers intéressés, les Sud-Coréens notamment, qui craignaient une escalade belliqueuse. Indéniablement, le sommet de Singapour amorce une période de détente en Asie.

Il reste que la méthode brouillonne, improvisée et tonitruante de Trump incite à la prudence. Du fait de son manque de préparation – il n’en avait pas besoin, fanfaronnait-il, tout serait question d’« attitude » –, le président américain ressort de cette rencontre avec pour seul viatique la perspective vague d’une dénucléarisation totale de la péninsule coréenne, déjà promise à plusieurs reprises par Pyongyang depuis vingt-cinq ans, avec le succès que l’on a vu. En l’absence de calendrier et de mesures concrètes, significatives et vérifiables de démantèlement du dispositif nucléaire nord-coréen, cela reste irénique.

En outre, et c’est une concession majeure, Donald Trump, qui n’a cessé de dénoncer les faiblesses supposées de l’accord sur le nucléaire iranien, a annoncé qu’il renonce aux exercices militaires américano-sud-coréens, carrément qualifiés de « provocants ». C’est à ce prix que la poignée de main avec Jim Jong-un a été possible. A ce prix qu’il était possible d’engager un tournant en Asie. Un tournant très aléatoire.