KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Quand le verdict est tombé, on pouvait presque entendre une mouche vrombir dans la grande salle de l’Expocentre de Moscou. Sans surprise, le trio nord-américain composé des Etats-Unis, du Mexique et du Canada a gagné le droit d’organiser la Coupe du monde 2026, mercredi 13 juin, lors du 68e congrès de la Fédération internationale de football (FIFA). A la veille de l’ouverture du Mondial russe, les délégués des fédérations nationales membres de l’instance planétaire ont plébiscité (134 voix à 65) la candidature conjointe de ces trois pays, écartant celle du Maroc.

Le royaume chérifien, qui n’a pas fait le plein de suffrages en Europe et en Afrique, n’est pas parvenu à conjurer la malédiction qui le frappe. C’est la cinquième fois que le Maroc est battu dans les urnes après ses échecs lors des scrutins d’attribution des Coupes du monde 1994, 1998, 2006 et 2010. « La jeunesse africaine n’a organisé cette compétition qu’une seule fois [en Afrique du Sud en 2010]. Elle la veut une deuxième fois », avait pourtant imploré, avant le vote, Fouzi Lekjaa, le patron de la fédération marocaine.

« Dans l’intérêt du football et de la FIFA »

Dans leur écrasante majorité, les électeurs n’ont pas été sensibles à cet argument. Ils ont préféré confier au continent nord-américain le soin de recevoir la première édition du tournoi censée être élargie de trente-deux à quarante-huit équipes. Tout en récupérant une compétition qu’ils avaient organisée en 1994, les Etats-Unis lavent ainsi l’affront de leur défaite retentissante et inattendue de 2010 (quatorze suffrages à huit) face au Qatar, dans le cadre du très controversé scrutin d’attribution du Mondial 2022. Si le Canada accueillera pour la première fois l’épreuve, le Mexique a une certaine expérience en la matière, puisque les éditions 1970 et 1986 avaient eu lieu sur son sol.

« Nous avons seulement fait valoir ce qui était dans l’intérêt du football et de la FIFA », a réagi, à ce triomphe dénué de suspense, Carlos Cordeiro, patron de la fédération américaine et coprésident du comité United 2026. Pour convaincre les deux cent trois nations votantes (les associations liées aux Etats-Unis, comme Guam, ont été écartées du scrutin), le trio avait de sacrés arguments à faire valoir. Avec ses vingt-trois stades, dont dix-sept déjà opérationnels, les trois pays présentaient des garanties beaucoup plus élevées, en matière d’infrastructures, quand leur rival était, lui, contraint d’édifier neuf enceintes sur quatorze.

Mais ce sont les considérations financières qui ont nettement fait pencher la balance. Comment le Maroc pouvait-il espérer l’emporter à l’aune des revenus et bénéfices records (11 et 14 milliards de dollars) attendus en cas de désignation des Etats-Unis et de leurs voisins ? Des montants deux fois plus élevés que ceux (5 et 7,2 milliards de dollars) présentés par le royaume.

Ni le tweet menaçant du président américain, Donald Trump, à l’adresse des nations opposées à la candidature de son pays, ni ses relations tumultueuses avec le Mexique n’ont changé la donne. « Je n’ai pas peur de l’ingérence politique. Personne ne peut racheter la FIFA », a balayé l’Italo-Suisse Gianni Infantino, le patron de la FIFA.

Visiblement radieux sur l’estrade, qualifié de « combattant » par Vladimir Poutine en ouverture du congrès, le président de la Fédération internationale a remporté un succès politique à l’occasion de ce vote d’attribution. Elu à la tête de l’instance en février 2016, avec le soutien des Etats-Unis, en pleine tornade judiciaire déclenchée par le FBI, le dirigeant au crâne glabre ne pouvait se permettre de fâcher un précieux allié. D’autant que les autorités américaines s’intéressent encore à la FIFA, dont les intérêts sont gérés par le cabinet d’avocats californien Quinn Emanuel.

Gianni Infantino pouvait savourer son triomphe dans la mesure où les pays membres du congrès de l’organisation étaient pour la première fois conviés à choisir l’hôte de la Coupe du monde. « La FIFA, jadis cliniquement morte et toxique, est sans l’ombre d’un doute une organisation démocratique, moderne, robuste comme jamais », a martelé l’ex-secrétaire général de l’Union des associations européennes de football (2009-2016). Comme pour mieux clore l’ère des scandales et des soupçons de corruption qui ont émaillé les précédents scrutin d’attribution, le patron du football mondial s’est félicité de ce « processus clair et ouvert. »

Bons résultats financiers

Si le vote de chaque pays a été rendu public par la FIFA, une polémique a enflé durant la phase d’inspection des candidatures. La mise en place par la Fédération internationale d’une « task force » d’évaluation, composée notamment de dignitaires de son administration, a été perçue comme une manœuvre de M. Infantino pour saborder la candidature du Maroc. Ladite task force n’a pourtant pas écarté la candidature du royaume avant le congrès, lui attribuant une note (2,7/5) certes moins élevée que celle, flatteuse (4/5), du trio nord-américain.

Derrière son pupitre, le président de la FIFA n’a pas masqué sa satisfaction en présentant les bons résultats financiers de l’institution, « malgré la crise historique » qui l’a frappée en 2015. Des revenus records de 6,1 milliards de dollars sont ainsi attendus par le dirigeant pour le cycle qui se refermera à la fin de 2018. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes et le futur s’annonce encore meilleur », a jubilé M. Infantino, qui entend distribuer, les quatre prochaines années (2019-2023), 1,2 milliard de dollars de fonds de développement aux fédérations nationales.

Le dirigeant a profité de cette aubaine pour annoncer qu’il briguerait un deuxième mandat, le 5 juin 2019, au congrès de Paris. « Je pense au regard des enfants du Rwanda, de Haïti, de la Birmanie, qui brille quand on leur donne un ballon », s’est-il justifié. Un discours que n’aurait pas renié son prédécesseur (1998-2015) Sepp Blatter, suspendu six ans et jadis désireux d’obtenir le prix Nobel de la paix.