Au salon du jeu vidéo, durant sa conférence, Sony a calmement déroulé ses exclusivités sans surprendre. Microsoft, en revanche, doit renverser la vapeur. / Christian Petersen / AFP

« For the players » — « pour les joueurs ». Cinq ans après la présentation en fanfare de la PlayStation 4, grande gagnante face à la Xbox One du cycle actuel de consoles, le slogan choisi alors par Sony pour se différencier de son concurrent Microsoft semble résonner encore dans les travées de l’E3, le salon mondial du jeu vidéo à Los Angeles.

Durant une heure et quarante-cinq minutes de conférence, dimanche 10 juin, Microsoft a multiplié les présentations de jeux, avec une cadence, une densité et un niveau de qualité redoutables. La division Xbox, qui avait évoqué, non sans un certain sens de la surenchère, « la meilleure conférence de l’histoire de l’E3 », a assurément livré la conférence Microsoft la plus convaincante depuis des années.

En tout, pas moins de cinquante jeux montrés, de nombreuses avant-premières, l’annonce du retour de sa licence la plus forte avec le jeu de tir futuriste à grand spectacle Halo : Infinite, et pour ne rien gâcher, l’officialisation du développement d’un nouveau cycle de consoles. Bref, une vraie démonstration de force.

24 heures plus tard, pourtant, c’est avec flegme et dans un cadre plus proche d’un cabaret que Sony a calmement abattu ses cartes. On y a vu peu d’annonces et bien moins de jeux, mais de très longues séquences consacrées à The Last of Us Part II, Ghost of Tsushima, Death Stranding et Spider-Man.

Leur point commun ? Ces superproductions hautement cinématographiques ne sortiront jamais ailleurs que sur PlayStation 4, et cela leur suffit : quand Microsoft parlait quantité, Sony a répondu exclusivité. Le tout sans esquisser le moindre mouvement d’annonce d’une éventuelle nouvelle console PlayStation, dont le développement est pourtant un secret de polichinelle.

Microsoft prépare le terrain

Il serait tentant de voir dans ce bras de fer des muscles contre le flegme la victoire de Sony. Mais ce qui s’est joué est plus complexe. Sur cette génération de consoles, Microsoft a partie perdue, et les deux entreprises le savent. Les ventes de Xbox One sont estimées à environ 25 millions d’unités, quand celles de la PlayStation 4 ont déjà largement dépassé les 70 millions, avec un rythme de croisière bien supérieur.

Le constructeur japonais, assis dans un fauteuil royal, n’avait donc guère à se démener, la victoire commerciale lui étant déjà acquise. Mais face à lui, la firme de Redmond est dans une problématique tout autre. Il ne s’agit pas tant de sauver la Xbox One – une baisse de prix aurait été à cet égard bien plus efficace – que de préparer le terrain pour la génération suivante, attendue par les experts en 2019 ou 2020. Un travail de fond, comparable à celui réalisé par Nintendo après l’échec de la Wii U, qui cible deux points en particulier, le catalogue et l’image.

Microsoft est lancé depuis deux ans dans une opération de reconquête de sa légitimité et de son image, après le flop au lancement de la Xbox One. / FREDERIC J. BROWN / AFP

Le catalogue, d’abord, parce que le constructeur américain a décidé de faire de la rétrocompatibilité l’un des piliers futurs de sa prochaine génération. Tous les jeux disponibles sur Xbox One – et donc les 50 annoncés dimanche – sont amenés à rejoindre dès le premier jour la future quatrième génération de Xbox, lui offrant une profondeur de catalogue inédite à son lancement.

Microsoft a tout à y gagner, alors que la société créée par Bill Gates a lancé l’an passé son Xbox Pass, un système de jeu en illimité par abonnement. Celui-ci devrait être au cœur de sa proposition commerciale d’ici quelques années, non seulement sur consoles, comme le service concurrent de Sony, le PlayStation Now, mais aussi sur PC, et à termes, smartphones et appareils connectés.

Le traumatisme du raté de 2013

Et puis, il y a l’image, ce point crucial sur lequel la Xbox One a tant péché lors de son lancement en 2013, en se positionnant comme un centre multimédia familial plutôt que comme la traditionnelle console de passionnés qu’étaient jusqu’alors les Xbox.

Las ! Tout ce que les équipes de Microsoft avaient visualisé, la console au cœur du salon, porte d’entrée multifonctions à Internet, à la musique et aux séries télé, avec une consommation largement basée sur le dématérialisé, s’est pourtant bien produit, mais avec Netflix, Spotify, YouTube, Twitch, et la PlayStation 4 au centre en plate-forme reine de ce marché.

Cette vision, Sony la partageait bien évidemment aussi. Mais en présentant à son lancement sa console comme une machine « for the players », au lieu du centre multimédia grand public qu’elle avait vocation à devenir, le Japonais a flatté le cercle très influent des premiers acheteurs et plongé Microsoft dans une impasse commerciale.

Bataille pour un positionnement

Depuis, l’équipe dirigeante de la firme de Redmond a changé, et le jeu vidéo a été inscrit parmi les priorités de la multinationale. Avec cet E3 2018, la Xbox One ne renversera pas la tendance commerciale, et ce n’est pas son but. Microsoft pose surtout les fondations de sa compétitivité future.

Bien sûr, Sony ne partira pas cette fois soudain outsider. Le constructeur de la PlayStation a des atouts redoutables, comme sa légitimité et ses synergies dans le monde de l’image (jeu vidéo, téléviseurs, cinéma), sa politique éditoriale de haut niveau, et sa capacité à séduire indifféremment sur les trois continents, quand la marque Xbox demeure très anglo-saxonne.

Pour autant, lorsque la prochaine console de l’Américain arrivera, avec sans nul doute un très ambitieux Halo Infinite en jeu de lancement, une offre en abonnement foisonnante et une image de constructeur gameur restaurée, Sony aura affaire à un concurrent autrement plus dangereux. Microsoft, et c’est son message de 2018, veut montrer qu’il ne réitérera pas deux fois les erreurs du passé. Sa prochaine console, elle sera « for the players ».