Zinédine Zidane, à Paris, le 12 juin 2018. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Une inaptitude manifeste pour le football et la déprogrammation brutale de « Stars à domicile » ont sonné comme un couperet, mes dix ans à peine soufflés : je ne rencontrerai jamais Zidane. Je n’aurai jamais l’occasion de le voir, de l’approcher, de le humer. Mais l’espoir mort-né a ressuscité.

Avant de retrouver ses comparses de champions du monde lors d’un match contre une sélection d’anciennes gloires à Nanterre, mardi 12 juin, la caravane Zidane a sillonné Paris deux jours durant, entre opérations commerciales et rendez-vous caritatifs. L’occasion était trop belle de rattraper le temps perdu.

Première halte du nouveau retraité des bancs de touche : Saint-Denis. Son équipementier historique inaugurait, lundi, un « playground », soit une cage multisport (foot, basket, skate, muscu) plantée au-dessus du périphérique, à 200 mètres à vol d’oiseau du Stade de France. Arrivé devant le complexe, me voilà stoppé par Michael Jordan, plus exactement par un responsable de la sécurité présentant une troublante ressemblance avec sa Majesté, anneau planté dans l’esgourde comprise.

« Bonjour ! Pour Le Monde.

Désolé, vous n’êtes pas sur la liste.

Je viens de voir mon nom.

Ah ! Fallait le dire, Le Monde, pas : pour le monde. »

Passée cette singulière rencontre, plus rien ne me séparait du « ZZ10 » – nom de l’aire de jeux fraîchement édifiée – et de son fameux inspirateur. Les journalistes étaient invités à réunir contre un cordon de sécurité, première étape d’un programme que la pluie tentera de perturber. Pour qui n’aurait pas reçu, lu et relu l’e-mail récapitulatif, un attaché de presse est présent pour une révision.

« C’est simple », parole de communicant : « Il va venir et poser sa main pour dévoiler le stade. Ensuite, il rentrera dedans, saluera des jeunes et prendra des photos. Pause de dix minutes. Vous, vous revenez là. Rebelote ensuite avec les autres 1998. On retourne sur le playground. Les étudiants arrivent. Distribuent les maillots du match. Photos. Point de presse. On sort. »

« Des pompes, je peux en acheter tous les jours »

On parie donc sur la présence parmi la meute journalistique d’un confrère autrement diligent. La grappe des détenteurs de la carte de presse est facilement localisable : qui d’autre pour s’agiter une heure avant l’arrivée programmée de Zidane ? Disposés à s’écharper pour une place au plus près du pupitre où l’ancien milieu ne passera que quarante secondes.

Plus loin, une bande de jeunes patiente sagement autour d’un soda, avant d’être parquée en rang d’oignons par les organisateurs. Les licenciés au Red Star de Saint-Ouen ont été conviés par leur sponsor à une partie improvisée avec Zizou et consorts pour baptiser la nouvelle enceinte, si la pluie qui s’abat sur le site le permet.

La confrontation avec le Ballon d’or 1998 ne semble guère impressionner des adolescents qu’une génération sépare de leur aîné. « Zidane ou les France 98 ? Non, moi, je suis venue pour le Red Star », recadre Lauryn, 19 ans. Pour eux, les fulgurances du « numéro 10 » se racontent au hasard des vidéos piochées sur YouTube. Depuis, une nouvelle série de champions a pris la lumière.

Zinédine Zidane, à Nanterre, le 12 juin. / Thibault Camus / AP

Wissem, torse bombé et autoproclamé « star du Red Star », troquerait aisément sa présence à Saint-Denis contre une virée à Madrid : « Ça fait toujours plaisir de voir une star [encore une, donc], mais avec Cristiano Ronaldo, la journée aurait été clairement différente. » Le mineur pourra toujours se réjouir de ne pas repartir les mains vides :

« Ils nous ont passé une paire de chaussures qu’on pourra garder, ça, c’est cool. Mais le plus important, c’est Zidane. Des pompes, je peux en acheter tous les jours. Pas Zizou. »

Wissem n’aura même pas à disputer un match contre les glorieux quadras. Les averses ont eu raison du zèle des chargés de communication. Zidane fera quelques photos avec les jeunes, récupérera avec ses coéquipiers les maillots qu’ils étrenneront le lendemain à Nanterre, avant de sacrifier au traditionnel passage devant la presse.

A bonne distance d’hommes de sécurité, le Marseillais prend le temps de s’arrêter devant chaque grappe de médias, massés le long d’un long cordon dressé à la va-vite. L’ancien meneur navigue en habitué. Souvent tancé pour en dire peu, il saisit les questions comme autant d’opportunités de revenir sur son passé.

Le « ZZ10 » ? « Nous, on n’avait pas ça quand on était jeunes. On mettait deux tee-shirts au sol et on jouait. » Lui, un exemple ? « Moi, oui. On se considère tous comme des exemples. Même si notre vie a changé un petit peu, on sort tous des quartiers. Moi, j’ai pas changé, je sais d’où je viens. » L’histoire de 1998 ? « Mais l’histoire, pour moi, elle a commencé là, quand mon papa travaillait pas loin. Ça fait une soixantaine d’années, le stade [de France] n’existait pas. »

« Plus qu’un pied »

Cette obsession du récit, du « chemin », Zidane en fera étalage dès le lendemain, dans un tout autre décor. Boiseries rutilantes et lustres majestueux : à deux pas des Champs-Elysées, la maison Baccarat recevait l’association ELA, mardi 12 juin. Avant l’arrivée du parrain le plus célèbre de l’organisation engagée dans la lutte contre les leucodystrophies, la vaste salle réquisitionnée bruisse, comme hier le patio du « ZZ10 ».

Les attachées de presse délivrent leurs dernières consignes, accueillent les retardataires, positionnent les invités et personnalités pour assurer « la plus belle image ». Et puis, plus rien, soudain. Comme si chacun sentait son approche. « C’est dingue, ça me fait pensait à l’Elysée, quand tout le monde attendait le président », compare une organisatrice.

Zidane pénètre alors dans la pièce, accompagné du président fondateur d’ELA, Guy Alba. Ensemble ils vont lever le voile sur une création de la maison hôte destinée à récolter des fonds : d’abord le pied gauche, toujours, mais de cristal, moulé sur l’arpion magique de l’international au 108 capes.

Le Cristalfoot, créé par Baccarat pour l’association ELA. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les prises de parole sont précédées d’un mini-clip où Zizou y va de son sermon en faveur du collectif, comme un écho aux exploits passés : « Il y aura toujours quelqu’un qui fera la différence, mais ce n’est pas le plus important. […] C’est l’équipe, le groupe, le partage qui est le plus fort. Le plus important n’est pas de gagner, c’est le chemin, le moment passé avec le copain. »

A peine le temps d’en appeler à la générosité des donateurs et d’échanger quelques mots avec les familles assises au bas de l’estrade que Zidane est emporté par un nouveau diptyque photos-médias. Il s’y soumet plus qu’il n’y prend part, guidé par les directives d’une communicante. La cérémonie fut deux fois plus courte que sa préparation. Le « 10 » est sorti de la salle sur la pointe des pieds.

Le soir, le chef d’orchestre des Bleus de 1998 retrouvait ses anciens coéquipiers pour une énième célébration de leur sacre. Ils le jurent tous, cette fois, c’était la dernière. Avec toutes les limites de leurs corps un peu usés, les « vingt-deux » ont tenté un dernier récital. Quand les remplacements se multipliaient et les articulations grinçaient, Zidane a fait exploser les 30 000 spectateurs d’une merveille de coup franc. Comme une évidence. Une dernière danse.

Au coup de sifflet, tout le monde s’est précipité au rez-de-chaussée de l’enceinte pour recueillir les réactions des acteurs. Pirès, Dugarry, Henry, Barthez, Lizarazu, Desailly se sont prêtés à l’exercice. D’autres ont décliné. A minuit, un confrère est averti : « Oh putain, il s’est barré. » Après deux jours, il avait peut-être, enfin, trouvé son « chemin ».