Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans un avis rendu public mercredi 13 juin, s’alarme de la situation des jeunes placés dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), un sujet peu abordé, « un angle mort des politiques publiques de la jeunesse », selon son rapporteur, Antoine Dulin. En 2016, 333 500 enfants ont ainsi fait l’objet d’une mesure éducative ou de protection, dont 170 000 placés, c’est-à-dire retirés de leurs familles et hébergés en Maisons d’enfants à caractère social ou dans une famille d’accueil.

Le rapport du CESE constate que, le jour de leurs 18 ans, 30 % de ces jeunes sont mis à la rue, en « sortie sèche ».

« On leur demande d’être autonomes du jour au lendemain, sur tous les plans – emploi, logement – alors qu’ils ont, moins que d’autres, les réseaux familiaux et amicaux, les acquis scolaires et les ressources financières pour y parvenir, déplore M. Dulin. C’est une mesure brutale, un gâchis éducatif et économique alors que l’on a investi pendant des années dans leur éducation et que la grande majorité des jeunes décohabitent de chez leurs parents vers 23 ans et s’insèrent dans le marché du travail bien après 25 ans. »

Résultat : un tiers des jeunes sans domicile fixe que l’on trouve dans les centres d’hébergement ou les soupes populaires sont passés par l’ASE…

Rupture brutale

C’est en 1974, lorsque la majorité a été abaissée à 18 ans, que les pouvoirs publics ont cessé de prendre ces jeunes en charge jusqu’à l’âge de 21 ans, et créé le contrat jeune majeur pour, en principe, trois ans, afin d’éviter une rupture brutale. Hélas, seuls un tiers des jeunes majeurs placés, soit 21 000 d’entre eux, bénéficient de ces contrats et pour des durées de plus en plus courtes, de trois à douze mois. Jamais trois ans. La charge incombe aux départements, dont les finances sont de plus en plus exsangues, et qui ont beaucoup réduit leur soutien.

« L’Aide sociale à l’enfance nous lâche à 18 ans, au moment où on est en pleine reconstruction, témoigne Anne-Solène, 28 ans aujourd’hui, placée en foyer de 15 à 21 ans. Et quand, à 18 ans, on bénéficie d’un contrat jeune majeur, on n’a aucun droit à l’erreur. » Elle a commencé des études de droit mais les a interrompues pour se réorienter et devenir éducatrice spécialisée. « Heureusement, j’avais le soutien total de mon référent ASE, mais ce n’est pas courant, comme j’ai pu le constater dans de nombreux cas », raconte-t-elle.

« Patates chaudes »

Dans ses conclusions, le rapport du CESE déplore que la prise en charge par les départements (10 milliards d’euros par an) soit source de complexité et d’inégalités. Il propose de remettre l’Etat au cœur du dispositif en créant un Fonds national de péréquation des dépenses de protection de l’enfance, de garantir une prise en charge jusqu’à la fin des études ou un premier emploi stable. Il souhaite aussi développer le parrainage, en allouant des ressources pérennes aux associations départementales d’entraide des personnes accueillies à la protection de l’enfance qui fédèrent, notamment, des anciens de l’ASE, très concernés et pouvant apporter un vrai soutien et montrer aux plus jeunes qu’on peut s’en sortir.

Le rapport s’attache aussi au sort des « jeunes à difficultés multiples » qui souffrent de handicap ou de troubles du comportement, parfois qualifiés d’« incasables », de « cas complexes », voire de « patates chaudes », ballottés de structure en structure, leur infligeant une « maltraitance institutionnelle ». Lorsqu’ils trouvent l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique adapté à leur handicap, il est, malheureusement, souvent fermé la nuit, le week-end et durant les vacances scolaires…

Ce travail du CESE, commandé par le premier ministre, devrait nourrir la « stratégie interministérielle pour la protection de l’enfance et de l’adolescence » qu’il présentera d’ici à octobre.