« Qui est pour la reconduction de la grève demain ? » Un peu avant midi, mardi 12 juin, la poursuite de la mobilisation est actée pour mercredi chez les cheminots en grève de la gare Paris-Est. Rassemblés au bout du quai de la voie 2, les soixante grévistes présents ont approuvé à l’unanimité le prolongement du mouvement. Cette unité apparaît comme symbolique en cette « journée cheminote de la colère » – une initiative nationale – alors que le pacte ferroviaire est en passe d’être définitivement adopté par le Parlement.

Mais ici, la motivation n’a pas disparu. Nombreux sont ceux à avoir été présents dès 6 heures, pour faire le piquet de grève devant les portes de la gare et distribuer des tracts aux usagers.

« Rapport de force »

Leur mot d’ordre, « à bas les actionnaires, vivent les chemins de fer ». Quant à la mobilisation, on assure qu’elle ne faiblit pas. « 60 personnes, c’est plus ou moins ce qu’on a eu depuis le début du mouvement, sauf une fois où l’on a atteint les 120 personnes. Il y a un rejet vraiment profond de leur projet, c’est phénoménal », explique Basile Pot, délégué SUD-Rail. « Hors de question qu’on se dise qu’ils ont gagné ! » fulmine Patrick Belhadj, secrétaire de la CGT-cheminots Paris-Est.

Si les cheminots du secteur affichent leur détermination, les chiffres avancés par la direction de la SNCF viennent cependant porter un coup aux ambitions de cette seconde « journée sans cheminots ». Les taux nationaux sont certes supérieurs au dernier jour de la mobilisation – avec 17,63 % de grévistes et de 53,4 % conducteurs en arrêt de travail – mais ne parviennent pas à égaler le regain atteint lors du 14 mai, qui culminait à 27,58 % de grévistes et près de 75 % de conducteurs et contrôleurs en grève.

Bien que toujours déterminés, les cheminots présents à l’assemblée générale de Paris-Est, à l’image des autres groupements en France, ont bien conscience que la tâche est rude. Plusieurs pointent du doigt cette mobilisation en baisse et regrettent que les 95 % d’agents ayant voté contre le pacte ferroviaire, lors d’une consultation interne organisée par les syndicats, ne participent pas à la lutte. « Ça ferait bien longtemps qu’elle serait terminée sinon… » regrette Patrick Belhadj, délégué CGT. Il s’interroge également sur la situation de la région parisienne : « Dans certaines régions, on nous dit que le problème en Ile-de-France, c’est le rapport de force. Et c’est vrai qu’ici, on ne parvient pas suffisamment mobiliser les cheminots », un avis partagé par Eric Vauthier, délégué SUD-Rail venu de Château-Thierry.

La grande question demeurant : comment faire pour y parvenir ? L’intersyndicale, qui doit se réunir prochainement, doit encore livrer ses perspectives, explique-t-on. En attendant, le mouvement social de 1995 continue de marquer les débats. Erigé en âge d’or, il représente une époque où « les cheminots ont su se faire respecter » selon Basile Pot. Une époque également de convergence des luttes, alors que leurs homologues contemporains se sentent plus “isolés dans la société” analyse Eric Vauthier : « La journée de grève de la fonction publique du 22 mai a été significative : les fonctionnaires ont préféré mettre en avant leur point d’indice, plutôt qu’une revendication globale ».

Et le modèle de 1995 s’éloigne un peu plus alors que se dessine à l’horizon la fracture de l’unité syndicale. L’UNSA et la CFDT ont en effet salué les derniers éléments introduits dans le pacte pour la réforme ferroviaire, la CGT, FO et SUD-Rail s’engagent quant à elles toujours pour le retrait du pacte et les sections de la région (gares de Montparnasse, Austerlitz, Mitry, Versailles ou encore Saint-Denis) se sont donné rendez-vous mardi à la Défense. Sous leurs banderoles et au rythme des tambours, mais aussi de « pétards de voie » utilisés pour les trains en détresse, environ 400 manifestants étaient sur place devant le siège de la SNCF, sécurisé par les CRS.

« Grosse perte financière »

D’accords sur le slogan « cheminots en colère, on va pas se laisser faire ! », ils le sont moins sur la forme à donner à leur action. Si pour Christophe Péchon, secrétaire CGT du secteur Paris-Nord, le système des 2-5 (deux jours par semaine) « fonctionne très bien car il a permis à tous de s’impliquer sans une trop grosse perte financière », une grève reconductible serait plus pertinente pour Basile Pot (SUD-Rail) : « Pourquoi faire un peu grève en juillet et août, et ne pas tout faire d’un seul coup maintenant en juin ? »

Quoi qu’il en soit, beaucoup se revendiquent prêts à poursuivre l’effort cet été, quitte à connaître des fins de mois difficiles. « Pour gagner, il faut perdre de l’argent. Il faut arrêter de se voiler la face », reconnaissaient les grévistes de Paris-Est. Si cela ne suffira pas à compenser leurs salaires, les cheminots peuvent toutefois compter sur la solidarité d’une part de l’opinion publique. Leur cagnotte atteint déjà les 40 000 euros, tandis que la caisse nationale a, elle, dépassé le million d’euros.

Cette solidarité n’est pas toujours suffisante, comme en témoigne Denis, contrôleur nettoyage en région parisienne et militant FO en grève depuis le premier jour, qui a fait un crédit pour tenir. « Il faut faire des croix sur beaucoup choses, par exemple, les vacances, on oublie », concède quant à lui Eric Vauthier, avant de conclure, déterminé : « Il faut voir ce que l’on gagne sur le long terme à résister ! » Un combat de longue haleine, alors que se profilent les négociations de la future convention collective des cheminots, dont ils espèrent obtenir un socle social des plus élevés possibles.