C’était la mesure phare du programme santé d’Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle. Aujourd’hui critiqué sur son aile gauche pour la faiblesse de son action dans le domaine social, le chef de l’Etat a annoncé, mercredi 13 juin, devant le congrès de la Mutualité française, à Montpellier, la mise en place progressive d’ici au 1er janvier 2021 d’offres de lunettes, de prothèses dentaires et auditives avec un « reste à charge zéro » (RAC zéro), pour lesquelles les patients n’auront rien à débourser.

Ces trois secteurs sont ceux où les renoncements aux soins sont les plus importants : 4,7 millions de Français sacrifieraient les soins prothétiques dentaires et 2,1 millions les appareils auditifs. « La mise en place de ce reste à charge zéro est une mesure sanitaire et sociale d’une portée majeure », déclare le député (LRM) Olivier Véran, qui a participé à l’élaboration du programme santé du candidat Macron. « C’est une mesure qui parle à des millions de personnes, j’ai régulièrement des gens qui viennent dans ma permanence parlementaire avec un devis à la main pour me parler de ce frein financier… », raconte l’élu afin d’expliquer pourquoi cette mesure a été privilégiée plutôt que, par exemple, la réduction des dépassements d’honoraires.

Deux des trois accords, optique et audioprothèse, sont signés par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, mercredi, à Montpellier, celui sur le dentaire, le 21 juin. Très concrètement, il ne s’agit pas de supprimer tout reste à charge dans ces trois secteurs où les Français en sont aujourd’hui pour 4,4 milliards d’euros de leur poche chaque année, mais de proposer des offres d’entrée de gamme. Celles-ci seront accessibles sans condition de revenu à tous les Français couverts par une complémentaire santé, soit aujourd’hui près de 95 % de la population. Ceux qui veulent bénéficier des dernières innovations, des appareillages plus sophistiqués ou des lunettes de marque, continueront de régler eux-mêmes la facture.

Une prise en charge de la « Sécu » doublée

Dans les trois secteurs, la mise en place de la mesure se fera par étapes jusqu’en 2021. « C’est une mesure importante où trois professions vont en partie renoncer à leur liberté tarifaire. Ce type de réforme n’est possible qu’en début de mandat, avec un pouvoir politique fort », analyse un bon connaisseur du dossier. Dans les faits, opticiens, audioprothésistes et dentistes conserveront tout de même la possibilité de proposer des offres à tarifs libres.

En dentaire, les détails de l’accord ont déjà été annoncés début juin, après le feu vert de deux syndicats de dentistes à l’accord négocié depuis septembre 2017 avec l’Assurance-maladie. Le texte prévoit une revalorisation des tarifs des soins courants (carie, détartrage…) en échange d’un plafonnement des tarifs des prothèses, prévu entre 2020 et 2021. Dans le panier du « reste à charge zéro », les couronnes destinées aux dents « de devant » (incisives, canines, premières prémolaires) seront en céramique, tandis que celles destinées aux molaires, moins visibles, seront en métal. Coût de cette mesure sur cinq ans : 717 millions pour la « Sécu » et 505 millions pour les complémentaires santé.

Dans le secteur de l’audioprothèse, où le prix moyen d’un appareil est de 1 500 euros pour une oreille, et où le reste à charge moyen est d’environ 850 euros, selon les chiffres du ministère de la santé, deux « paniers de soins » seront mis en place : un à « RAC zéro » et un à tarifs libres. Dans le premier, des plafonds de prix seront progressivement instaurés : 1 300 euros en 2019, 1 100 euros en 2020, et enfin 950 euros en 2021, soit une réduction à terme de 30 % par rapport au prix moyen demandé aujourd’hui. Tous les appareils sont concernés : contour d’oreille classique, contour à écouteur déporté ou intra-auriculaire.

La « Sécu » doublera progressivement le montant de sa prise en charge, aujourd’hui très faible : de 200 euros en 2018, il passera à 400 en 2021, soit un investissement évalué à 100 millions d’euros. Les complémentaires santé augmenteront également leur participation de façon significative, pour un montant évalué à 200 millions d’euros par un participant aux négociations, même si aucun chiffre officiel n’a pour l’instant été communiqué.

Cette prise en charge à 100 % de prothèses jusque-là particulièrement mal remboursées pourrait amener des milliers de personnes à s’équiper, ce panier pouvant représenter à terme 20 % à 30 % du marché de l’audioprothèse. Même si le montant total de la prise en charge par les complémentaires, dans le cadre des contrats responsables, a été plafonné à 1 700 euros, certains s’inquiètent déjà d’un possible contrecoup de la mesure et d’une hausse du reste à charge sur les prothèses proposées dans le panier à tarifs libres.

Choix parmi 17 modèles

Côté optique, il sera possible de dissocier verres et montures, ce que réclamaient les opticiens. Pour bénéficier de montures prises en charge à 100 %, l’assuré devra choisir parmi une liste de dix-sept modèles dont le prix sera plafonné à 30 euros. Une monture choisie hors de cette liste sera prise en charge par la complémentaire santé à hauteur de 100 euros (contre 150 aujourd’hui). Pour les verres, simples et complexes, il y aura, là aussi, deux « paniers » : un libre et un RAC zéro.

Cette réforme aura-t-elle un impact significatif pour les assurés pour l’accès à l’optique ? La question divise les observateurs du secteur. Certains, comme Mathias Matallah, le président de Jalma, un cabinet de conseil spécialisé dans la santé, estiment que cette offre « va concerner 20 % des assurés qui achetaient jusque-là dans les réseaux de soins mis en place par les complémentaires santé » et qu’à ce titre cela ne constitue en rien une réforme « historique ».

D’autres, comme Mathieu Escot, chargé d’études à l’association de consommateurs UFC-Que choisir, jugent qu’il s’agit d’une réforme « importante » dans la mesure où « près de la moitié des assurés n’ont aujourd’hui pas accès à ces réseaux de soins ». « Des retraités avec des moyens modestes et une complémentaire médiocre vont pouvoir accéder à des offres de qualité pour les verres progressifs », considère-t-il.

Principale critique formulée à l’encontre de ce dispositif RAC zéro : le risque de voir les complémentaires santé répercuter le coût de ces mesures sur le montant de leurs cotisations. Dans une note publiée en mai, avant les ultimes arbitrages, le cabinet de conseil en ressources humaines Mercer France considérait que le projet du gouvernement allait conduire à une « transformation du reste à charge en cotisations ». Il pronostiquait une hausse des cotisations pour les entreprises de 5,6 % à 8,9 % pour les contrats « entrée de gamme » et de 1,6 % pour les contrats « haut de gamme ».

Pendant la campagne, Emmanuel Macron s’était engagé à ce que la mesure se fasse sans hausse de cotisation. Réponse dans quelques mois.