Le président du conseil Giuseppe Conte, le 11 juin à Rome. / Gregorio Borgia / AP

La tension monte entre Paris et Rome. Intervenant devant le Sénat, le ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, a appelé, mercredi 13 juin, le président français Emmanuel Macron à « passer de la parole aux actes », en faisant preuve de « générosité ». Il a également rappelé que la France s’était engagée à accueillir plus de 9 000 migrants arrivés ces dernières années en Italie mais qu’elle n’en avait accueilli que 640.

L’agacement de Rome est partagé par l’immense majorité de l’opinion italienne. En dénonçant la « part de cynisme » et l’« irresponsabilité » de l’attitude du gouvernement de Giuseppe Conte, Emmanuel Macron a réveillé le souvenir des incidents qui ont émaillé les mois passés. Par la suite, le rappel au droit international du premier ministre, Edouard Philippe, et plus encore la réaction du porte-parole d’En marche, Gabriel Attal, jugeant l’attitude italienne « à vomir », ont provoqué une avalanche de réactions courroucées et même à la convocation, mercredi 13 juin, de l’ambassadeur de France à Rome au ministère des affaires étrangères.

« Leçons hypocrites »

Le communiqué publié par le Palais Chigi, le siège du premier ministre, dans l’après-midi de mardi, était déjà d’une vigueur inhabituelle : « Les déclarations venant de France autour du cas de l’Aquarius sont surprenantes et témoignent d’un grave manque d’informations sur ce qui se passe. L’Italie ne peut pas accepter les leçons hypocrites de pays qui, en termes de migrations, ont toujours préféré tourner le dos à leurs partenaires. » La même note poursuit : « Nous avons reçu un geste inédit de solidarité de la part de l’Espagne. Ce même geste n’est pas arrivé de la France, qui de plus a adopté à maintes reprises des politiques bien plus rigides et cyniques en termes d’accueil. » Plusieurs proches du président du conseil, Giuseppe Conte, ont même laissé entendre, auprès de médias italiens, que l’annulation de la visite en France du chef du gouvernement italien, vendredi, était envisagée.

Mercredi matin sur France Inter, la ministre de la justice française, Nicole Belloubet, a nuancé les propos d’Emmanuel Macron, estimant qu’on « ne peut pas laisser l’Italie seule face à cette question, ce n’est pas acceptable ». « Il y a urgence absolue à construire une réponse européenne », a-t-elle ajouté, jugeant que « l’Europe est fautive, et peut-être nous avec, de ne pas avoir su construire cette réponse ».

« C’est l’hypocrisie de Macron qui est à vomir », a estimé Giorgia Meloni, la dirigeante des postfascistes de Fratelli d’Italia. Dans le chœur de réactions indignées émanant de la grande majorité des responsables politiques italiens, revenait sans cesse le rappel d’un souvenir récent : celui de l’incident frontalier de Bardonecchia, fin mars. En pénétrant dans des locaux de cette petite gare piémontaise, pour effectuer une analyse d’urine sur un ressortissant nigérian accusé de trafic de stupéfiants, des douaniers français avaient alors déclenché une véritable tempête diplomatique entre les deux pays, le ministère des affaires étrangères du gouvernement Gentiloni convoquant déjà l’ambassadeur de France à Rome pour explications. Une procédure très inhabituelle qui traduisait la colère contre l’attitude des forces de l’ordre françaises dans les zones frontalières, de Vintimille aux cols alpins.

Bonnes paroles

Depuis la fermeture progressive des frontières entre les deux pays, en 2014, l’immense majorité des Italiens ont l’impression que l’Italie a été abandonnée à elle-même par ses partenaires européens. Un sentiment qui a culminé à l’été 2017, quand, au plus fort de la crise migratoire (plus de 100 000 personnes secourues de janvier à juillet), le ministre de l’intérieur, Marco Minniti, avait demandé un geste de solidarité, menaçant lui aussi de fermer ses ports aux bateaux des ONG humanitaires. A l’époque, l’Italie ne s’était attirée en retour que quelques bonnes paroles.

Depuis, l’intensité du flux d’arrivées s’est considérablement affaiblie (80 % d’arrivées en moins depuis le début de l’année 2018), par l’effet d’accords très controversés entre l’Italie et diverses autorités locales libyennes. Mais le Parti démocrate (centre gauche), au pouvoir depuis 2013, a essuyé une cuisante défaite électorale, et son incapacité à obtenir une aide concrète par la voie du dialogue n’est pas pour rien dans l’arrivée au pouvoir de partis extrémistes, qui, désormais, entendent bien faire entendre leur différence.