La province de Cabo Delgado, au Mozambique, est dorénavant aux prises avec un mouvement de guérilla islamiste. Après des mois d’escarmouches entre la police et les membres d’Al Sunnah wa Jama’ah, le nord de la province fait maintenant face à des violences quotidiennes.

Depuis fin mai, plus de 40 personnes ont été tuées dans une série d’attaques. Certaines ont été décapitées, des centaines de maisons ont été brûlées et beaucoup de gens ont fui leurs villages pour des refuges plus sûrs.

Vendredi 8 juin, les employés locaux d’Anadarko, une major pétrolière et gazière, ont refusé de travailler, car ils craignaient une attaque. Le même jour, la compagnie a demandé à ses employés internationaux de ne pas quitter leur camp, alors que l’ambassade américaine demandait à ses ressortissants de quitter immédiatement la province.

Ces derniers mois, l’Etat a répondu à l’émergence de ce nouveau danger par la force. Des centaines d’hommes et de femmes ont été arrêtées. Des mosquées ont été fermées et d’autres détruites. Dans certaines zones, les musulmans ont été découragés de porter des vêtements vus comme typiques de leur culte. Cela a amené certains cheikhs à avertir le gouvernement qu’il devait éviter de s’en prendre à tous les musulmans en raison des actes d’une seule frange.

Des enjeux économiques, religieux et sécuritaires traversent cette affaire. Cabo Delgado est une province de 2,3 millions d’habitants, dont 58 % sont musulmans, à la frontière avec la Tanzanie. Durant la dernière décennie, d’énormes gisements de pétrole et de gaz ont été découverts. Ces ressources devraient permettre le développement d’une industrie gazière et pétrolière à Cabo Delgado et bénéficier à toute l’économie du pays.

La perspective d’une guerre ouverte dans le nord du Mozambique alarme tout le monde. L’Etat, la société civile et les géants du gaz et du pétrole s’inquiètent de ses conséquences potentielles.

Entre 350 et 1 500 membres

Des facteurs sociaux, économiques et politiques ont permis à cette insurrection armée de se développer. La plupart sont des facteurs locaux, bien davantage que le résultat d’une conspiration traversant les frontières.

La naissance d’Al Sunnah wa Jama’ah est très similaire à ce qu’on a vu avec Boko Haram au Nigeria. Le mouvement a commencé par être une secte religieuse, puis il s’est transformé en un groupe de guérilla. On estime qu’il compte maintenant entre 350 et 1 500 membres, qui seraient organisés en dizaines de cellules le long de la côte de l’extrême nord mozambicain.

Le but initial de la secte était d’appliquer la charia (la loi islamique). Pour ce faire, elle a essayé de se retirer de la société en coupant ses liens avec l’Etat, dont elle rejette les écoles, le système de santé et la loi. Une telle posture a créé de vives tensions avec l’administration et la société alentour.

En arabe, « Al Sunnah wa Jama’ah » veut dire « les gens de la Sunna et de la communauté ». Le groupe est aussi connu localement sous le nom d’Al-Chabab (« la jeunesse »), même s’il n’a pas de connexion significative avec le mouvement somalien du même nom. Certains avancent que le mouvement s’appelle aussi Swahili Sunna (la voie swahili), un nom qui suggérerait une ambition de restaurer la grandeur swahili du XIXe siècle dans la région.

Malgré ces idéaux nobles, certains analystes estiment que cette insurrection armée est davantage motivée par la cupidité. Ils affirment que le groupe serait impliqué dans l’exploitation illégale des mines et des forêts, le braconnage et la contrebande, faisant des millions d’euros par semaine grâce à ces activités criminelles. Mais ces affirmations ne résistent pas à l’examen. Il est en effet difficile d’imaginer une guérilla qui gagnerait plus de 3 millions d’euros par semaine et qui continuerait à combattre principalement avec des machettes.

La crise actuelle trouve son origine dans la militarisation d’Al Sunnah wa Jama’ah, en 2016. Cette année-là, les tensions avec la principale organisation musulmane mozambicaine et l’Etat augmentèrent. Le mouvement commença alors à se préparer à une action armée.

Ensuite, en octobre 2017, un groupe de 30 hommes attaqua trois stations de police dans la ville de Mocimboa da Praia. Ils tuèrent deux policiers, volèrent des armes et des munitions et occupèrent la ville. Promettant de ne pas faire de mal aux civils, ils combattirent la police durant plusieurs heures avant de se retirer et de partir installer des bases militaires dans la forêt avoisinante.

Des liens transnationaux

Certains analystes ont suggéré que cette guérilla était le fruit d’un plan machiavélique concocté par une internationale terroriste islamiste. Il est vrai que des liens transnationaux existent dans cette affaire. La police mozambicaine a montré que certains hommes avaient reçu un entraînement militaire en Tanzanie et en République démocratique du Congo (RDC) ou qu’un petit nombre d’étrangers, principalement tanzaniens, sont présents au Mozambique.

J’argumenterai néanmoins que cette nouvelle guérilla est avant tout un phénomène local, avec une histoire et des dynamiques sociales spécifiques. Le mouvement a émergé dans un groupe social, ethnique et religieux très particulier, les Mwani, parmi lesquels existe un sentiment de marginalisation depuis des décennies, à la suite de fortes migrations dans leur région, un manque de développement économique et des voisins, les Makonde, qui sont aujourd’hui au pouvoir.

Si la guérilla continue avec le même niveau de violence, voire s’étend géographiquement, les entreprises gazières et pétrolières déplaceront leurs infrastructures en « offshore » autant que possible. Cela impliquera la perte d’emplois locaux. La violence risque aussi d’entraîner une crise humanitaire avec son lot de réfugiés – des centaines de personnes ont déjà commencé à s’enfuir des zones de combat.

L’Etat mozambicain a répondu à la recrudescence de la guérilla, ces dernières semaines, en passant de nouveaux accords de sécurité avec la Tanzanie, la RDC et l’Ouganda, en établissant de nouveaux postes de commandement militaire et en envoyant davantage de forces de l’ordre dans le nord du pays.

L’Etat et ses partenaires ont besoin toutefois de développer aussi des mesures non militaires. Entre autres, ils doivent faire face à la question de la terre, essayer d’amoindrir les tensions sectaires et éviter de froisser les musulmans dans leur chasse aux « terroristes », s’ils veulent empêcher que la guérilla islamiste tire avantage des griefs locaux et gagne encore plus de terrain.

Eric Morier-Genoud est maître de conférences en histoire africaine à l’université Queen’s de Belfast.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur The Conversation.