Philippe Le Bouteiller, gagnant de la cinquième édition du concours entouré de Colin Gatouillat (2e) et Camille Vautier (3e). / MT 180 CPU CNRS via Campus

Une heure avant le début de la finale de Ma thèse en 180 secondes (MT180), mercredi 13 juin, la foule se presse déjà devant l’entrée du Théâtre de la Cité TNT, à Toulouse (Haute-Garonne). Chacun récupère son ticket d’entrée et le jeton qui lui permettra de voter. Ce soir, l’auditoire a son importance. C’est à lui que les seize doctorants finalistes vont avant tout s’adresser : le concours, lancé il y a cinq ans par la Conférence des présidents d’université et le CNRS, vise en effet à distinguer les « thésards » capables de vulgariser auprès du grand public, en trois minutes maximum, leurs travaux de recherche, toutes disciplines confondues.

La totalité des 850 places — gratuites — ont été réservées en moins de trois jours. Installés dans les premiers rangs, Valentin et son père lisent le programme de la soirée. « Certains intitulés ne sont vraiment pas parlants, ça va être un défi de nous les faire comprendre », sourit le père. Il accompagne son fils, qui vient d’être admis en 1re S, et a découvert MT180 par un de ses professeurs de lycée. « Il a créé un Doodle [sondage en ligne] pour voir qui voulait venir, il y avait 50 places, elles ont toutes été prises et il y avait même une liste d’attente ! » Ce qui intéresse Valentin, c’est de « découvrir des recherches dans des thèmes très variés et surtout, c’est court ! »

Une panne de courant retarde le début. Daniel Fiévet, animateur à France Inter, et l’humoriste et marraine de l’édition, Sophia Aram, qui présentent la soirée, improvisent sur scène, jusqu’à ce que la musique résonne. Sous un tonnerre d’applaudissements, place aux stars de la soirée.

Christelle Kouakam ouvre le bal. Une fois l’intitulé de sa thèse énoncé, la doctorante de l’université de Picardie-Jules-Verne, qui s’est placée calmement au centre de la scène, dans le rond de lumière, fait signe à la régie de lancer le compte à rebours des fameuses cent quatre-vingts secondes. « Ah, les bébés, ils sont mignons à croquer, on les adore… , commence la jeune femme d’une voix enjouée. Mais moi, ce qui m’intéresse surtout, c’est leur caca ! » Le public, surpris, rigole. Elle explique, de façon claire et concise, qu’elle s’intéresse à l’impact des pesticides sur les bébés, et plus particulièrement sur leur sommeil et leur respiration, ce qui nécessite de rechercher dans les selles la présence de pesticides. Plus que dix secondes au chrono : « Oh la la c’est l’heure ! Je ne voudrais pas en rajouter une couche, mais vous l’aurez compris, le caca, c’est mon dada. »

Emouvant ou théâtral

Tous ont à cœur d’incarner leur propos. « J’avais besoin de faire des relevés dans les ruisseaux, alors j’ai enfilé mes bottes », mime ainsi Camille Vautier, de l’université Bretagne Loire, qui travaille sur la pollution de l’eau. Arnaud Personne, mathématicien de formation, met, lui, le public à contribution : « Alors, vous allez être une forêt, il va falloir que vous choisissiez d’être soit un hêtre, soit un bouleau. Faites vite, s’il vous plaît, je suis un peu pris par le temps », plaisante le jeune homme, qui illustre ainsi ses travaux de modélisation des forêts visant à prédire l’évolution de leurs populations.

Chacun des candidats apporte son style. Emouvant, comme Camylla Lima de Medeiros, qui travaille sur les littératures d’exil et raconte l’histoire d’une Erythréenne qui doit elle aussi raconter son exil, pas dans un but romanesque, mais bien pour obtenir un statut de demandeur d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Théâtral, comme Colin Gatouillat, doctorant de l’université d’Aix-Marseille, qui a retranscrit sous forme de tirades les paroles des adolescents interrogés pour comprendre pourquoi ces derniers font de moins en moins de sport. Les sujets des candidats sont aussi variés que spécifiques : ils vont de l’élaboration d’un laser pour la chirurgie esthétique à la restauration de peintures anciennes, les mouvements géographiques des langues, la réponse immunitaire des porcs…

A l’issue de telles performances, Morgane, étudiante en géographie, a beaucoup de mal à choisir pour qui voter. « Ils m’ont tous vraiment impressionnée ! Ceux qui m’ont le plus plu sont ceux qui avaient de l’humour », explique la jeune femme, qui a eu vent de l’événement sur les réseaux sociaux. « Je suis venue parce que c’était gratuit, ça avait l’air intéressant, mais je ne pensais pas être face à des gens aussi pointus qui parviennent pourtant à prendre beaucoup de recul sur leur travail pour le rendre accessible ! »

Une « carte Bison futé » des ondes sismiques

Le premier prix à être remis est celui du public. Daniel Fiévet précise que cela s’est joué à cinq voix de différences entre les deux premiers… C’est Philippe Le Bouteiller qui l’emporte. Le doctorant de la Communauté université Grenoble Alpes avait été applaudi par le public dès l’annonce de l’intitulé, long et technique, de sa thèse : « L’approche eulérienne de l’équation de Hamilton-Jacobi par une méthode Galerkin discontinue en milieu hétérogène anisotrope. » Le jeune doctorant a su le rendre accessible : « On ne peut pas voir à travers la planète ; tant mieux, disent les Ecossais, qui ne veulent pas révéler aux kangourous le dessous de leurs kilts », avait-il plaisanté, avant d’expliquer que ses recherches permettaient de reconstituer « la carte Bison futé » des ondes sismiques. Le but de sa thèse : anticiper la disparition de ressources et prévoir les séismes et les éruptions volcaniques.

Au moment de récupérer son prix, très surpris, il remercie maladroitement sa femme, auteure de l’image affichée derrière lui pendant sa présentation. « J’espère que le dessin vous a plu, c’est ma femme, qui est illustratrice, qui l’a fait. Habituellement, une compagne graphiste, ça ne rapporte pas beaucoup, mais bon ! »

Le troisième et le deuxième prix du jury sont ensuite décernés, respectivement à Camille Vautier, l’experte en pollution de l’eau, et à Colin Gatouillat, l’auteur des tirades adolescentes. Suit l’annonce du premier prix : Philippe Le Bouteiller est à nouveau distingué. Sur les conseils de Sofia Aram, il remercie plus délicatement sa femme, avant de s’adresser à son père : « Papa, je sais que ce n’était pas un choix évident de faire cette thèse, mais j’espère que ce soir, tu es fier de moi. »

1er prix du jury & prix du public - Philippe Le Bouteiller - Finale nationale MT180 édition 2018
Durée : 03:17