France. Paris 6e arrondissement. Les étudiants déjeunent, place du Panthéon, devant la faculté de droit (université Panthéon-Sorbonne et université Paris-I). / Daniel Thierry / Photononstop / Daniel Thierry / Photononstop

La question de la sélection à l’université est brûlante en France avec la mise en place de la nouvelle procédure Parcoursup. Nicolas Charles et Romain Delès, sociologues à l’université de Bordeaux, ont examiné les cas suédois, allemand et anglais, qui prévoient chacun des systèmes de compensations différents pour rendre la sélection « équitable ». Retour sur les premiers enseignements de cette étude, dévoilée à Sciences Po le 11 juin, et qui sera remise au Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) en novembre.

De nouvelles règles d’admission à l’entrée de l’université s’appliquent pour la première fois cette année en France. Pourquoi cette sélection fait-elle tant débat ?

Nicolas Charles. Chaque pays fabrique un compromis pour arriver à une « sélection équitable », en articulant des règles de sélection à l’entrée et un objectif d’ouverture à tous du système. Le débat se pose actuellement chez nous parce que cet équilibre entre « sélection » et « ouverture » a été bousculé par la réforme de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants).

Notre système se caractérise par une grande diversité des procédures de sélection (concours, dossiers, oraux…), fondées quasi exclusivement sur le mérite scolaire, avec cette idée d’atteindre ainsi une stricte égalité de traitement. Dans cette logique, nous avions une particularité : l’université constituait le seul espace auquel un bachelier avait un accès de droit. Cela est remis en question, chaque licence classant désormais les candidats selon leurs dossiers scolaires. Parcoursup constitue l’aboutissement de la réduction progressive du périmètre de ce droit d’accès, qui avait débuté marginalement avec les doubles licences sélectives, ou encore le tirage au sort pour un nombre très restreint de formations.

Mais il n’y a eu, en face, aucune réelle compensation qui permettrait de contribuer à l’équité. On aurait pu imaginer de multiples dispositifs d’équilibrage, tels que l’ouverture d’un accès de droit aux BTS, le développement des possibilités de reprises d’études, des mesures pour tendre vers une augmentation de la part de bacheliers dans une génération, ou encore pour limiter l’impact du diplôme sur le marché du travail.

Comment font les autres pays européens, qui eux aussi mettent en place des systèmes sélectifs à l’entrée des études ?

Romain Delès. On se rend compte, dans les autres pays européens, que la méritocratie scolaire est relativisée par d’autres dispositifs. En Allemagne, la sélection s’opère globalement sur la moyenne de chaque lycéen à l’Abitur (l’équivalent du bac allemand). Mais avec un modèle très différent en amont puisque, dès la fin du primaire, les élèves sont dirigés vers des études courtes ou longues. Les taux de diplômés du supérieur sont ainsi bien moindres – 30 % des 25-34 ans, contre 45 % en France. Ce moment entre l’Abitur et l’enseignement supérieur est donc moins décisif dans les scolarités, il ne fait que redoubler une sélection qui a déjà eu lieu plus tôt. Pour cette raison, la sélection est mieux acceptée socialement.

Mais, surtout, cette sélection est dédramatisée par une autre forme de compensation : la mobilité professionnelle est beaucoup plus ouverte. En quelque sorte, la méritocratie scolaire, et ses effets potentiellement inégalitaires, est rattrapée par la méritocratie professionnelle, avec la possibilité de progresser en entreprise, quelle que soit son origine scolaire. Contrairement à la France, où l’itinéraire professionnel est largement tracé par le diplôme obtenu.

La Suède sélectionne ses étudiants sur les notes de bac. Quelle compensation intervient pour assurer une équité ?

RD. Il existe une seconde chance en Suède. En reprises d’études, tout le monde a la possibilité de suivre des enseignements secondaires spécifiques pour passer l’équivalent du baccalauréat ou pour préciser son profil de formation. Parallèlement, l’admission dans l’enseignement supérieur peut se faire par une voie alternative à l’évaluation sur critères scolaires. On peut en effet, à tout âge et quel que soit son passé scolaire, passer un test d’aptitude national qui valorise des compétences génériques, voire l’expérience professionnelle. Ensuite, la procédure d’admission de chaque établissement est contrainte par la règle des trois tiers : toutes les formations doivent accueillir un tiers de candidats sur critères scolaires, un tiers sur la note au test d’aptitude, le dernier tiers étant laissé à la discrétion de l’établissement.

Comment l’Angleterre, troisième modèle que vous avez examiné, a-t-elle résolu cette équation, avec un enseignement supérieur sélectif et payant ?

NC. Il est intéressant de noter qu’outre les critères scolaires, la sélection prend en compte très fortement l’histoire individuelle des candidats. Notamment grâce à l’importance du « personal statement » (une forme de lettre de motivation) ou encore des oraux. Si en France, un 15/20 dans un très bon lycée pourra servir à distinguer une candidature, les institutions anglaises valoriseront plutôt le profil d’un jeune d’origine populaire venant d’un « lycée » de moindre niveau comme celui de quelqu’un qui a dû se battre pour faire ses études.

L’Angleterre est aussi capable de mettre de côté tout principe méritocratique dans sa plus grande université : l’Open University, qui dispense des enseignements à distance à 170 000 étudiants. Celle-ci ne recrute sur la base d’aucun diplôme, mais selon la règle du « premier arrivé, premier servi ». A condition d’avoir néanmoins la capacité de régler les frais annuels, de 3 000 euros. Chaque société a en effet ses points aveugles et les frais de scolarité élevés (jusqu’à 10 000 euros par an en licence) constituent un véritable impensé en Angleterre.

N’existe-t-il pas d’autres mécanismes concourant à l’équité en France ?

NC. Dans le système français, la centralisation apparaît théoriquement comme le gage d’une procédure équitable. Mais celle-ci reste imparfaite, puisqu’une part importante de formations sont absentes de Parcoursup – comme sur Admission post-bac (APB), la précédente plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur auparavant. Si la loi ORE vise à les inclure, il faut s’attendre à voir persister les « exceptions » dont on nous expliquera toute la légitimité…

Et dans les faits, les algorithmes utilisés pour sélectionner les étudiants sont élaborés au niveau local, par chaque formation, y compris les licences, contrairement à l’Allemagne ou la Suède, où cela est standardisé. Cela peut avoir l’avantage de « faire dans la dentelle », mais de l’extérieur, cela apparaît d’une grande opacité.