Le nouveau gouvernement Sissi, le 14 juin. / - / AFP

Comme le veut la tradition, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, entame son second mandat en s’entourant d’une nouvelle équipe gouvernementale. Après la nomination de Mohamed Madbouly à la tête du cabinet le 7 juin, les trente-deux nouveaux ministres ont prêté serment devant le président égyptien, jeudi 14 juin. Si la plupart des portefeuilles reviennent à des technocrates chargés de poursuivre le programme de réformes structurelles engagées fin 2016, le remplacement surprise des portefeuilles de l’intérieur et de la défense traduit, aux yeux des experts, une volonté de consolidation par M. Sissi de son pouvoir.

Alors que les Egyptiens sont accaparés par les derniers préparatifs des fêtes de l’Aïd, et par le premier match très attendu de l’Egypte au Mondial vendredi, le président Sissi a annoncé la nomination, à la défense, d’un homme de confiance, le général Mohamed Zaki, qui assure depuis 2012 sa sécurité à la tête de la Garde républicaine. Mohamed Zaki est l’homme qui a exécuté l’ordre d’arrestation de l’ancien président islamiste Mohamed Morsi, destitué en 2013 (un an après son élection) par l’armée, alors conduite par M. Sissi. A l’intérieur, c’est le président de la puissante sécurité nationale, Mahmoud Tawfiq, qui prend les rênes, remplaçant Magdi Abdel Ghaffar, peut-être promis à d’autres fonctions.

« C’est un remaniement sécuritaire profond qui n’aura pas seulement une portée dans la gestion des questions sécuritaires mais sur la trajectoire que M. Sissi entend poursuivre, notamment son désir de modifier la Constitution de 2014 pour ôter la limite des deux mandats. Il opère une consolidation de son pouvoir en s’entourant de fidèles », analyse Issandr Al-Amrani, directeur Afrique du Nord pour l’International Crisis Group (ICG). Au cours des derniers mois, le maréchal Sissi a limogé plusieurs hauts gradés de l’armée, à l’instar du chef d’Etat-major et du directeur des renseignements généraux en octobre 2017, et s’est entouré de fidèles, notamment issus des renseignements militaires qu’il a dirigés.

Réviser la Constitution pour une présidence à vie

Ce remaniement sécuritaire coïncide avec des appels renouvelés de députés loyaux au président Sissi, ainsi que de médias officiels, en faveur d’une révision de la Constitution, pouvant ouvrir la voie à une présidence à vie. Les détracteurs d’une telle révision se trouvent jusque dans les rangs de l’armée. « Il y a des rumeurs de résistance de certains officiers qui ne veulent pas que Sissi soit président à vie et estiment que l’armée doit à terme se retirer du pouvoir », poursuit M. Amrani. Selon l’expert de l’ICG, le général Sobhi, qui occupait le portefeuille de la défense depuis plus de quatre ans, était l’un d’eux. « Son départ enlève un obstacle de poids et lance un signal fort aux autres officiers », estime-t-il.

Les deux nouveaux hommes clés du gouvernement Madbouly auront pour tâche de gérer une situation sécuritaire qui reste fragile. L’opération dans la péninsule du Sinaï contre l’insurrection emmenée par l’organisation Etat islamique (EI) se poursuit, au-delà de l’ultimatum de trois mois donné par M. Sissi à ses forces de sécurité fin novembre. A cette menace djihadiste s’ajoute la crainte d’une montée des tensions au sein de la population du fait des nouvelles mesures d’austérité annoncées en juin, conformément au calendrier imposé par le Fonds monétaire international (FMI) en échange d’un prêt de 12 milliards de dollars sur trois ans accordé fin 2016.

C’est au gouvernement sortant qu’a été dévolue la tâche d’annoncer la dernière vague de coupes aux subventions publiques. Mardi, le ministre de l’électricité a annoncé de nouvelles hausses de prix sur l’électricité de 26,6 % en moyenne, applicables à partir du 1er juillet. Plus tôt en juin, le gouvernement avait annoncé une hausse du prix de l’eau pouvant aller jusqu’à 45 %. Ces annonces font suite à une série de réformes qui, outre des coupes aux subventions, a compris une dévaluation de la devise locale et l’instauration d’une TVA, qui ont donné lieu à une forte hausse de l’inflation annuelle qui est montée jusqu’à 30 % courant 2017, avant de redescendre autour de 11 %.

Un gouvernement de technocrates

Bien que le pays soit tenu d’une main de fer depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du président Sissi et malgré le fait que la population exprime une lassitude après les soubresauts révolutionnaires, les tensions commencent à affleurer. La hausse du prix des tickets de métro au Caire, en mai, a donné lieu à des manifestations. Ce mouvement, encore limité, a été suivi d’un nouveau tour de vis par les autorités égyptiennes. Au cours des dernières semaines, des militants influents de la révolution de 2011 ont été arrêtés, à l’instar du blogueur Wael Abbas ou du jeune acteur Chadi Abou Zeid. Ils risquent des poursuites pour « fausses nouvelles » et « appartenance à un groupe illégal ».

« Les services craignent des tensions et auraient aimé se passer des nouvelles coupes aux subventions car la situation est critique. Tout le monde vit sur ses épargnes. On ne voit pas comment les gens vont continuer à tenir », dit le politologue égyptien Tewfik Aclimandos. Mardi, le chef de l’Etat a de nouveau appelé les Egyptiens à la patience, justifiant des « réformes nécessaires » pour sortir l’Egypte de la crise économique qui la secoue depuis 2011.

Le nouveau gouvernement, principalement composé de technocrates, aura pour tâche de poursuivre les réformes structurelles initiées dans le cadre du prêt FMI, sous l’impulsion des nouveaux ministres des finances, Mohamed Maeit, et du commerce et de l’industrie, Amr Adel Bayoumi. Le premier ministre Mohamed Madbouli, qui conserve aussi son portefeuille au logement, avait eu l’occasion de faire ses preuves en assurant un temps la vacance du chef du gouvernement précédent, Chérif Ismaël, malade. Certains ministères clés, à l’instar des affaires étrangères, de la justice ou du pétrole, restent inchangés. Huit femmes rejoignent le cabinet, contre six dans le précédent gouvernement, confirmant une tendance déjà infléchie par M. Sissi d’une plus grande parité.