Antoine Griezmann (à gauche) et Kylian Mbappé, lors d’un entraînement à Clairefontaine, le 24 mai 2018 / GONZALO FUENTES / REUTERS

Chronique. Désolé, on va encore enfiler notre maillot de « vieux con », bien sûr trop large et en laine qui gratte. Mais que nous disent les premiers pas de l’équipe de France dans la riante cité d’Istra où ils vivent sous cloche depuis leur arrivée en Russie, au milieu d’épaisses forêts de conifères ? Du terrain, pas grand-chose encore, plutôt logique quand le premier match n’a pas encore été disputé (samedi à 12 heures contre l’Australie). Mais il faut quand même bien prendre des nouvelles de ses Bleus - qu’on « n’approche plus à moins de quinze mètres », comme l’écrivait un Vincent Duluc lucide et nostalgique dans L’Equipe -, savoir si la nuit a été bonne et les pâtes bien cuites. Et pour cela, il ne reste plus que la fameuse conférence de presse. Aussi impersonnel soit l’exercice, il est devenu la seule fenêtre d’échange possible. Un dialogue réduit à une question par média et sans relance possible. Sinon Philippe Tournon, le chef de presse, gronde.

La prestation du joueur préposé à la « conf’» du jour est scrutée et commentée, sa parole sera décryptée par des kremlinologues de la langue de bois en auditorium. On donne des bons et des mauvais points, on salue une « com’» maîtrisée ou on dit poliment que le Bleu du jour a usé des éléments de langage attendus.

Bref, il y aurait les bons et les mauvais clients. A ce petit jeu-là, Kylian Mbappé a encore réussi l’exercice avec mention. « Pour des journalistes, chaque conférence de presse de Kylian Mbappé est un délice », salue même l’envoyé spécial du Figaro. Qui n’a pas été le seul, mercredi, à souligner la performance d’un gamin de 19 ans qui a instinctivement tout compris du petit jeu médiatique, à savoir en lâcher assez (et avec la forme) pour ne pas en dire trop.

Le lobbying selon Mbappé

Le contraste est forcément saisissant avec un Antoine Griezmann. Le « chouchou » chez les Bleus depuis l’Euro 2016 se serait pris les crampons dans sa « com’», avec la mise en scène de sa prolongation à l’Atlético Madrid dans un « film digne d’une émission de téléréalité » selon le Huffington Post. Oui, il y avait un petit coté « la famille Kardashian à Madrid » dans cette vidéo produite par une société de Gérard Piqué et vendue à la chaîne payante espagnole Movistar +. Deux jours plus tôt, l’attaquant refusait d’évoquer son avenir en conférence de presse. La forme et cette privatisation de l’info inspirée par le basketteur Lebron James font oublier le fond. A savoir que Griezmann a décidé de prolonger à l’Atlético, contre une forte revalorisation salariale, plutôt que rejoindre le FC Barcelone, ce qui pourrait être perçu comme une marque de fidélité et d’attachement à son club. La forme, risible, a fait oublier le fond, louable.

Chez Mbappé, à l’inverse, les sourires et l’aisance rhétorique masquent des revendications réelles sur la composition des Bleus. Quand le Parisien encense une nouvelle fois les qualités d’Ousmane Dembélé, vante leur complicité technique (« il est capable de jouer en touche, il a les deux pieds. Jouer avec lui, c’est facile »), on peut aussi y voir le lobbying d’un joueur pour son copain au détriment d’un autre, à savoir Olivier Giroud. Ce même Giroud qu’il a très peu servi lors des matchs de préparation (aucune passe entre eux face aux États-Unis en préparation, une de Mbappé à Giroud contre l’Irlande) et qu’il considère « plutôt comme un point de fixation où il faut tourner autour ». Comme compliment, on fait mieux.

Contre l’Australie, Mbappé débutera sans doute avec Dembélé au sein d’un trio offensif avec Antoine Griezmann qu’il appelle de ses vœux (« On est trois joueurs qui s’apprécient »). Et si ça veut bien rigoler pour lui et son copain, son état de grâce médiatique devrait se poursuivre. On continuera à louer sa fraîcheur, à vendre cette spontanéité désarmante. Dans le cas contraire, il lui sera rappelé les messages passés dans l’auditorium d’Istra, que son vécu en équipe de France ne lui permet pas de choisir avec qui il préfère évoluer. La communication et les conférences de presse auront laissé la place à la vérité du terrain. Bonne nouvelle pour les vieux cons.