Elisabeth Borne, ministre des transports, le 13 juin, jour du vote de la réforme de la SNCF à l’Assemblée nationale. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Une page se tourne dans la grande affaire ferroviaire qui occupe la France et les Français depuis la fin février. Le Parlement a définitivement adopté, jeudi 14 juin, la plus vaste réforme qu’ait connue la SNCF depuis sa création en 1938. Un vote ultime du Sénat est venu confirmer celui de l’Assemblée nationale mercredi. Les sénateurs ont approuvé par 245 voix contre 82 un projet de loi qui aura provoqué une grève des cheminots d’ampleur historique. Le mouvement se poursuivra en juillet a annoncé vendredi Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT-Cheminots.

La fin du processus législatif laisse place à la saison deux de la bataille du rail qui pourrait s’intituler « Bras de fer avec le patronat ». Le nouvel épisode commence aussitôt par une réunion tripartite (Etat-syndicats-organisations patronales), présidée, vendredi 15 juin, par Elisabeth Borne, ministre des transports, « afin d’échanger sur la relance des négociations sur la convention collective de la branche ferroviaire ».

  • Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle négociation ?

Destinée à rédiger une convention collective de la branche ferroviaire, cette négociation n’est pas à proprement parler nouvelle. Elle a commencé en 2014, lorsqu’une première réforme ferroviaire, anticipant l’arrivée de la concurrence, a jugé indispensable de refonder un cadre social commun à toutes les entreprises du rail.

En quatre ans de tractations, plusieurs chapitres de la convention collective ont été écrits, discutés et signés. C’est le cas du très important volet consacré à l’organisation du travail qui a été appliqué dès 2016. Depuis le début de la grève contre le nouveau pacte ferroviaire de ce printemps, les négociations ont été interrompues. Toutefois, des rencontres bilatérales entre les cinq organisations représentées à la branche (CGT, UNSA, SUD, CFDT et FO) et l’organisme patronal qui mène ces pourparlers, l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), ont perduré.

  • Pourquoi c’est important ?

La réforme qui vient d’être votée change la dimension de ces négociations. D’abord parce que l’ampleur des changements rend nécessaire un accompagnement social de ces bouleversements. Ensuite parce que la loi laisse des lacunes dans la définition précise du nouveau cadre social des cheminots.

Des sujets sensibles pour les agents SNCF comme la médecine spéciale, les billets de train gratuits ou les logements sociaux ne figurent pas dans le texte. Ils pourraient être repris dans la convention collective de branche et intégrés aux chapitres restant à négocier : prévoyance ; droit syndical ; classification et rémunérations ; règles de transfert et garanties sociales transférées.

Sont mis sur la table des négociations des questions fondamentales pour des salariés du rail susceptibles, après application de la réforme, d’être transférés d’une entreprise à une autre : jusqu’où aller dans la polyvalence et la polycompétence ? Quelle évolution de la rémunération le long de la carrière ? Quelle est la panoplie complète des garanties sociales ?

  • Quelles sont les principales revendications des protagonistes ?

Même s’il n’est pas toujours avoué, le rêve secret des syndicats serait de parvenir à imposer une convention collective de tellement haut niveau, qu’on retrouverait quasiment tous les éléments du contrat social de la SNCF et du statut des cheminots.

Et c’est précisément ce dont ne veut pas l’UTP, qui l’a écrit noir sur blanc dans sa proposition de méthode de négociation adressée au ministère des transports et aux syndicats le 24 mai : « ce futur cadre social de branche (…) ne saurait être constitué de la reprise de l’ensemble des éléments actuellement inclus dans le statut des cheminots ou des autres dispositions réglementaires s’appliquant au sein de l’opérateur historique. »

Ce qui est certain, c’est que les syndicats demandent à l’Etat d’être présent et directif – une lettre d’intention va être demandée en ce sens à la ministre – lors de la table ronde du 15 juin et lors des rounds suivants. Tous voient dans cette première rencontre un moment clé (à l’exception de SUD-Rail qui ne se fait pas d’illusions). Si ce virage est abordé par l’Etat et le patronat selon le goût des syndicats, cela pourrait contribuer à arrêter le mouvement de grève.

  • Quel rôle va jouer l’Etat ?

Il n’est pas certain qu’Elisabeth Borne accepte d’impliquer les services de l’Etat dans les travaux de la branche ferroviaire à la hauteur de ce que voudraient la CGT, la CFDT et l’UNSA. La ministre a plutôt imaginé que ce rôle d’accompagnateur des négociations sera confié à un « observatoire du dialogue social au sein de la branche » composé de personnalités aux compétences reconnues en matière de relations sociales, dont Jean-Paul Bailly, ex-PDG de La Poste.

L’objectif numéro un du gouvernement est de faire en sorte que le calendrier très serré des négociations soit tenu. En effet, la convention collective doit être achevée à la date fatidique du 31 décembre 2019, puisque à partir de début 2020, la concurrence ferroviaire devient effective et que l’embauche au statut des cheminots prend fin.

Mais la vraie finalité de la réunion du 15 juin pourrait être un peu différente. « Cette grand-messe est d’abord une mise en scène, dit un observateur proche du patronat ferroviaire. Il s’agit de théâtraliser le désengagement du gouvernement de ce conflit. Maintenant si les négociations dérapent, ce sera la faute des partenaires sociaux. »