Pierre Issa lors du match France-Afrique du Sud, le 12 juin. / GABRIEL BOUYS / AFP

Le 12 juin 1998, l’équipe de France respire : elle vient de battre l’Afrique du Sud (3-0) en ouverture de sa Coupe du monde. La célébration de Christophe Dugarry, auteur du premier but libérateur, en pantin désarticulé, langue sortie pour mieux narguer journalistes et spectateurs qui l’avaient critiqué, restera l’une des images fortes de cette épopée victorieuse.

Dans le camp d’en face, l’homme du match est un autre joueur de l’Olympique de Marseille : Pierre Issa. Le Sud-Africain quitte la pelouse du Stade-Vélodrome la tête basse et le pas traînant : « Parfois, des attaquants manquent des penaltys. Moi, j’ai taclé à l’envers. » Le défenseur a plombé sa propre équipe en étant impliqué sur les deux autres buts tricolores : une première fois, à la 78e minute, en détournant un ballon sur lequel le gardien Hans Vonk semblait à la peine. Une deuxième fois, dans les arrêts de jeu, en essayant, sur la ligne de but, de dévier un tir français.

Remplaçant à l’Olympique de Marseille et Français d’adoption, Pierre Issa, enfant de Johannesburg, veut prouver ce jour-là qu’il mérite bien le numéro 21 de la sélection arc-en-ciel, malgré son inexpérience et les critiques de la presse sud-africaine. A seulement 22 ans, il a la chance de disputer la première Coupe du monde de « son équipe de cœur » et de représenter le pays de son idole, Nelson Mandela.

« Pas vraiment l’impression de jouer un match de Coupe du monde »

« Il y avait énormément de mistral ce jour-là, se remémore celui qui, à l’époque, débutait au niveau international. Je n’avais pas vraiment l’impression de jouer un match de Coupe du monde : je connaissais bien le Stade-Vélodrome et il y avait des coéquipiers de club en face avec Robert Pirès, Laurent Blanc et Christophe Dugarry. »

Entré sur la pelouse en serrant les poings et en encourageant ses coéquipiers, Issa réalise plusieurs interventions décisives contre les attaquants français. C’est même lui qui, de la tête, se crée la meilleure occasion du match pour les Sud-Africains, face à des Bleus en quête de confiance.

« Il y avait beaucoup de pression sur l’équipe de France. C’était le premier match, elle avait été beaucoup critiquée, et en plus cette rencontre se jouait au Stade-Vélodrome qui est un stade bruyant et passionné. On les sentait tendus. » Selon certains joueurs français, les Sud-Africains ont même pris un ascendant psychologique avant de débuter la rencontre, par leurs prières et leurs chants entonnés dans les vestiaires avant le match. Cet état de grâce ne dure pas longtemps : 35 minutes très exactement, jusqu’à l’ouverture du score de Dugarry.

« Cet épisode m’a forgé »

Pierre Issa ne garde pas un mauvais souvenir de la rencontre. D’ailleurs, il ne voit aucun problème à ce qu’on le contacte pour évoquer ce moment compliqué de sa carrière, vingt ans après : « J’étais jeune, ça a été difficile, mais cet épisode m’a forgé, explique-t-il d’une voix posée. J’ai dû être très bon par la suite pour montrer que j’avais ma place et que je pouvais apporter des choses à l’équipe. Ça a été une source de motivation. »

La réaction de ses coéquipiers et de certains de ses adversaires venus « le consoler et l’encourager après le match », lui ont permis de rapidement tourner la page. « J’ai eu une belle carrière par la suite, et une soixantaine de sélections avec l’Afrique du Sud », observe celui qui a joué ensuite en Angleterre, au Liban et en Grèce.

Aujourd’hui à la tête d’une entreprise de management de joueurs et d’entraîneurs, après avoir été directeur sportif de l’Olympiakos en Grèce, Issa se rendra en Russie pour assister à des rencontres du Mondial 2018, après avoir participé au match de célébration des 20 ans de la victoire des Bleus. Heureux d’avoir pu partager ce moment avec ces « champions extraordinaires », Pierre Issa loue les liens indéfectibles qui les unit et le parcours qui a été le leur après leur carrière.

Après le match du Vélodrome, il était bien loin d’imaginer une victoire des Bleus un mois plus tard.

« C’était trop tôt, juge-t-il. Ils ont pris un ascendant, ils étaient poussés par leur public, mais c’est vraiment en voyant le match face au Paraguay, la patience et l’abnégation des Bleus face à cette équipe, en l’absence de Zidane, qu’on s’est dit qu’ils pouvaient aller au bout. »