Film sur TCM Cinéma à 20 h 45

A MOST VIOLENT YEAR - Bande Annonce Officielle (VOST) - Oscar Isaac / Jessica Chastain
Durée : 01:54

Au début, on croirait une armure. Ce manteau en poil de chameau, clair, doré presque, aux épaules carrées, donne à Abel Morales la silhouette d’un héros, qui se détache nettement sur le gris de la ville, sur la vilenie de ses adversaires. Et puis, au fur et à mesure qu’avance A Most Violent Year, on se dira que le manteau n’était qu’une carapace, un exosquelette qui a poussé pour que cet être vivant, fragile, complexe, résiste au mal que lui veut le monde.

C’est le genre d’idée qui vient en regardant le très brillant, très intelligent et très séduisant troisième film de J. C. Chandor, qui raconte une histoire simple au premier regard – un entrepreneur new-yorkais tente de réussir sans renoncer à son intégrité – pour mieux dévoiler la complexité des êtres et de la société qu’ils forment. Parce que le film est situé en 1981, à New York (l’« année très violente » du titre, la pire qu’ait connue la ville en matière de ­criminalité), parce que Oscar Isaac, qui tient le rôle d’Abel Morales, est le cousin ibéro-américain d’Al Pacino, on peut se croire transporté au temps des grands thrillers ­politico-policiers de Sidney Lumet (1924-2011).

Abel Morales vend du fioul ­domestique aux habitants des faubourgs pavillonnaires de New York. Pour livrer son combustible, il recourt à une flotte de camions conduits par des membres du syndicat des routiers (Teamsters), sous influence mafieuse.

Dans un New York lépreux

En cet hiver glacial, le contenu des ­citernes est parfois volé par des hommes armés qui arrêtent les camions, tabassent les chauffeurs et siphonnent le fioul avant d’abandonner les camions. Ce qui réduit d’autant les liquidités d’Abel, qui en a pourtant besoin. Il est sur le point d’acheter un terrain au bord du fleuve, qui lui servira aussi bien à se faire livrer par barge qu’à entreposer le fioul acheté l’été à bas prix.

Cet enjeu, qui peut laisser indifférent, est dispensé avec une maîtrise de la mise en scène d’autant plus éblouissante qu’elle repose sur un scénario dont l’intelligence passe par la précision, la minutie. La négociation de la vente du terrain oppose Abel et son avocat, Andrew Walsh (Albert Brooks), à une famille juive orthodoxe. Oscar Isaac donne à son personnage la courtoisie un peu raide qu’un nouveau venu doit adopter face à ceux qui ont déjà parcouru avec succès le chemin qu’il veut emprunter (ou acheter).

Oscar Isaac incarne Abel Morales dans « A Most Violent Year », de J. C. Chandor. / TCM CINÉMA

Abel est marié à Anna (Jessica Chastain), une femme issue d’une famille mafieuse qui pourrait lui venir en aide. Les propositions de cette Lady Macbeth des années 1980 tombent dans l’oreille d’un sourd. Il ne veut pas qu’on exerce sur ses concurrents les pressions qu’eux-mêmes font peser sur lui. Son honnêteté procède d’un ­calcul purement économique : la transgression lui semble plus porteuse de risques que l’observance des lois.

Quand on a fini d’appréhender la masse d’informations que dispensent J. C. Chandor et ses acteurs (qui fonctionnent tous à plein régime), on se retrouve pris au piège, comme Abel. Cette histoire de livraison de fioul est devenue une affaire de vie ou de mort. Dans un New York lépreux, voilé par une brume toxique, le héros en manteau de poil de chameau doit prendre une décision. Deux formidables coups d’accélérateur, deux poursuites, le rapprochent de ce moment fatidique. Ces deux séquences suffisent à injecter assez d’adrénaline pour que le film trouve sa place dans la galerie des grands thrillers new-yorkais.

A Most Violent Year, de J. C. Chandor, avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, Albert Brooks (EU, 2014, 130 min).