Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Cette semaine, Nehah, 22 ans, étudiante en psychologie, à Albi.

Après le bac, que j’ai eu avec mention, j’ai voulu faire un BTS [brevet de technicien supérieur]. Je n’ai pas été prise. J’ai voulu postuler dans une école privée. J’ai été admise mais je n’avais pas les sous pour y entrer.

Je ne voulais pas rester sans rien faire, alors j’ai essayé d’entrer en licence LEA (langues étrangères appliquées). Alors que la fac m’avait dit oui, à quelques jours de l’inscription définitive, on me dit qu’il n’y a plus de place !

Me voilà donc le 10 septembre 2014, le bac en poche, sans solution. Je tente le tout pour le tout et j’appelle la faculté de la ville de mon lycée. Miracle ! Il reste de la place. Ni une ni deux, je suis allée m’inscrire dès le lendemain. Le lundi suivant, je commençais les cours, je n’avais donc pas eu toutes les réunions de prérentrée, les informations obligatoires. C’est comme ça que j’ai commencé mes années postbac.

Il n’y avait plus de place en psychologie et vu que c’était un semestre avec tronc commun, la dame m’a gentiment expliqué que je pouvais m’inscrire en sociologie et qu’en janvier je pourrais changer.

« J’avais un peu perdu mes repères »

C’est un peu par hasard que je me suis retrouvée à l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville), c’était la seule UE [unité d’enseignement] qu’il restait à mon arrivée un peu précipitée à la fac. J’ai juste compris que je devais accompagner un jeune des quartiers populaires deux heures par semaine.

Après les galères que j’avais eues pour arriver en fac, ce hasard m’a tout de même réchauffé le cœur. En plus, je venais de m’installer dans mon appart, seule, et j’avais un peu perdu mes repères. En l’AFEV, je voyais la possibilité de combler la relation que j’avais avec mon frère, en passant du temps avec un jeune qui en ressentait le besoin. J’ai pu choisir la tranche d’âge que je souhaitais accompagner. J’ai pris le même âge que mon frère !

Je suis tombée sur une famille vraiment géniale. Dès janvier, j’allais chez eux tous les mercredis pour deux heures. Mais souvent, j’y restais beaucoup plus. On faisait des activités basées sur ce qu’il voulait faire. Au début, avec la barrière de la langue, c’était un peu compliqué. Mon but était de permettre à « mon » enfant de s’épanouir au travers de choses qui l’intéressaient réellement, et non qui lui étaient imposées comme dans le cadre de l’école.

« Ce qui m’intéressait, c’était d’apprendre de chacun »

La famille était originaire du Maroc et avait vécu en Italie. J’ai remarqué que les parents étrangers jaugent souvent l’intelligence de leurs enfants par rapport à leur réussite à l’école. Sauf que, pour moi, l’école est surtout un lieu où on apprend à se développer, comprendre, découvrir, s’épanouir. C’est un lieu où le jugement de valeur ne devrait pas exister.

J’ai eu la chance d’être dans une école qui nous prenait sur les temps libres. Créations, perles, peintures… On pouvait toujours faire quelque chose pour s’occuper. J’ai beaucoup appris et découvert que nous pouvions construire, inventer, créer des choses magnifiques avec nos deux mains, sans pour autant que les capacités intellectuelles ne soient prises en compte. En faisant l’accompagnement à l’AFEV, je voulais transmettre cela aux petits.

Avec l’enfant, nous avons créé un lien dès mon arrivée. Chaque semaine, on avançait un peu plus. Ça lui permettait progressivement de développer sa confiance en lui, je le trouvais de plus en plus à l’aise avec moi. A l’école, il était timide, et peu à peu il se montrait aux yeux de la maîtresse comme un enfant intéressé et désireux d’apprendre.

Grâce à eux, je me suis accrochée à ma première année de sociologie, mais dès qu’on a plus approfondi le sujet, j’ai senti que ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’étude des normes à laquelle la majorité adhérait, mais plutôt le fait d’apprendre de chacun et de considérer son histoire. Je pense que mon accompagnement m’a permis de comprendre cela : que je voulais aller définitivement en psychologie.

« J’ai su aller contre l’avis de la conseillère d’orientation »

J’ai dû voir la conseillère d’orientation pour justifier de mon projet et de ma motivation, elle m’a déconseillé de faire cela, car je n’avais pas les notes suffisantes (sur les évaluations en tronc commun). J’étais dans le doute en sortant de là, mais en y réfléchissant, je me suis dit que ce n’était pas elle qui ferait mon travail, que je me sentais de le faire et que, surtout, c’était ce que je voulais.

J’ai su aller contre l’avis de la conseillère d’orientation, l’accompagnement n’avait pas seulement aidé mon petit, il m’avait permis de me trouver moi. J’ai reconduit mes deux heures d’accompagnement l’année suivante afin de pouvoir lui apporter au maximum et de la meilleure façon que je pouvais.

Je suis toujours en contact avec « ma » famille. Après la deuxième année d’accompagnement, j’ai décidé de devenir volontaire en service civique à l’AFEV, afin de permettre aux jeunes étudiants de donner un sens à leur vie, parce qu’il faut se le dire, on est souvent perdus dans le tourbillon des choix que l’on doit faire.

Je suis très contente que « mon » jeune soit toujours accompagné et toujours aussi aimant de l’école, même si ce n’est plus moi qui l’accompagne. Je me rappelle qu’une fois, il m’a dit : « Tu sais, Nehah, un jour, moi aussi je ferais des études comme toi, et j’accompagnerai aussi un jeune qui en a besoin. »

« A 18 ans, notre chemin n’est pas forcément tout tracé »

Aujourd’hui, je suis en dernière année de licence de psychologie, vers le professorat des écoles. J’aimerais pouvoir faire un master pour devenir instit, et pourquoi pas un jour monter mon association qui, je pense, sera tournée vers les enfants.

Tout ça m’a permis de me rendre compte qu’à 18 ans notre chemin n’est pas forcément tout tracé et que, comme les enfants, nous grandissons à tout âge. Et il n’y a pas d’âge ni pour apprendre ni pour transmettre, tant qu’on le fait avec le cœur. L’échange est ce qui compose l’essentiel de notre vie, et c’est à partir de là qu’on se construit. Ce petit bonhomme m’a apporté autant, voire plus que ce que j’aurais jamais pu espérer.

Je sais que ce que nous faisons est essentiel. Cela permet aux enfants d’avoir un regard différent sur le monde qui les entoure, tout en aidant les parents à mieux comprendre la dimension globale de la scolarité. Les ouvrir à tout ce qui les entoure est à mon sens une manière de leur donner plus de clés pour leur futur.

Et si cela peut leur permettre de ne pas être désorientés dans leurs choix, ou jugés, alors j’aurais réussi ma mission.

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La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans

La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.

Tous leurs récits sont à retrouver sur la-zep.fr, et, pour la plupart, ci-dessous :