En novembre 2016, l’accord, historique, signé entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement colombien marquait la fin de cinquante-trois ans de conflit armé. Moins de deux ans plus tard, l’espoir de paix est égratigné par l’élection de l’avocat et économiste Ivan Duque, un novice en politique qui a porté la droite conservatrice au pouvoir au terme d’un scrutin, dont il est sorti vainqueur (53,98 %), dimanche 17 juin.

Le futur président de 41 ans, qui prendra ses fonctions le 7 août, va ainsi pouvoir gouverner à son aise et appliquer sa grande promesse de campagne, la révision de l’accord de paix avec l’ancienne guérilla des FARC. Dès sa victoire, M. Duque a annoncé des « corrections » à ce texte, qui a polarisé le pays et qu’il juge trop laxiste envers les ex-chefs guérilleros.

« Cette paix dont nous avons rêvée, qui demande des rectifications, aura des corrections pour que les victimes soient au centre du processus, pour garantir vérité, justice et réparation », a déclaré le dauphin de l’ancien président Alvaro Uribe, farouche opposant au pacte signé en 2016, qui a permis le désarmement de la rébellion et sa reconversion en parti politique.

Le point sur la mise en œuvre de l’accord et sur les « corrections » qu’envisage Ivan Duque.

  • Où en est l’accord ?

Depuis plusieurs années, tous les indicateurs de violence sont à la baisse en Colombie. « La paix, c’est d’abord trois mille morts de moins sur un an », rappelait, en novembre 2017, le chercheur Ariel Avila, de la fondation Paz y Reconciliación. Entre 2012, date du début des négociations de paix, et 2017, le nombre de déplacés par la violence a baissé de 250 000 à 30 000, celui des victimes de mines antipersonnel de 770 à 58.

Dès la signature du texte définitif, en novembre 2016, après avoir été rejeté dans sa première version lors d’un référendum, les quelque sept mille combattants des FARC sont sortis du maquis pour se cantonner dans vingt-six campements et ont déposé leurs armes. Dans les zones de cantonnement, rebaptisées « espaces de réincorporation et de formation », des ex-guérilleros, qui reçoivent 90 % du salaire minimum, ont entamé leur processus de réinsertion dans la vie civile.

Mais cette réinsertion des guérilleros démobilisés a pris du retard. Dans son rapport trimestriel au Conseil de sécurité de l’ONU, rendu en avril, le chef de la mission onusienne locale, le Français Jean Arnault, a demandé au gouvernement colombien de « réaliser un effort soutenu pour accélérer la réintégration des ex-guérilleros », faute de quoi « le risque de les voir rejoindre les groupes criminels ne pourra qu’augmenter ».

Dix militaires ont été tués lors d'une attaque attribuée aux FARC contre une garnison, en mars, dans la province du Cauca, dans le sud-ouest de la Colombie. / AFP/JUAN PABLO RUEDA

Car la violence n’a pas disparu des campagnes. Dans ce pays grand producteur de cocaïne, d’or et de bois précieux, les bandes criminelles et autres milices au service de la mafia se disputent les territoires abandonnés par les FARC.

La petite guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN), qui compte encore environ deux mille hommes en armes, est de la partie. Officiellement engagée dans des négociations de paix, la direction de l’ELN contrôle mal ses unités sur le terrain. Des dizaines de guérilleros des FARC ont d’ores et déjà repris les armes. Selon une étude indépendante, ils seraient un millier. En avril, huit policiers ont été tués dans le nord-ouest du pays.

D’un point de vue politique, depuis août 2017, les FARC sont devenues un parti (la FARC, pour Force alternative révolutionnaire commune). Ce qui leur a permis de se présenter aux élections législatives et à la présidentielle, qui se sont déroulées cette année.

A Bogota, le Congrès rechigne toutefois à traduire dans la loi l’accord signé le 24 novembre 2016 à Bogota. Pierre angulaire du document, la justice spéciale pour la paix, appelée à juger les responsables des crimes de guerre, qu’ils soient guérilleros, militaires ou bailleurs de fonds, n’est pas encore opérationnelle. « Le processus de paix est à son point le plus critique et menace d’être un véritable échec », déclarait l’ancien commandant guérillero Ivan Marquez, en apprenant la détention de son camarade Seuxis Hernandez, alias Jesus Santrich, incarcéré depuis avril.

  • Que veut modifier Ivan Duque ?

Refusant de donner plus de détails, mais promettant de ne pas « déchiqueter » cet accord, le futur chef d’Etat a seulement précisé qu’il voulait « tourner les pages de la corruption, de la politique politicienne, du clientélisme ».

Pendant la campagne, il avait témoigné de sa volonté d’envoyer en prison, au moins pour un an, les chefs FARC coupables de crimes graves. Ivan Duque souhaite également que le trafic de drogue, qui a servi à financer une partie de la guérilla, soit passible de peines de prison. L’accord de paix actuel prévoit l’amnistie de la majorité de ces « délits politiques et connexes », à l’exception des crimes contre l’humanité et d’autres crimes tels que les prises d’otage, les disparitions et les déplacements forcés, ou les violences sexuelles.

Le futur président souhaite par ce biais que les anciens guérilleros condamnés par le tribunal spécial pour la paix ne puissent devenir parlementaires, fustigeant l’« impunité » dont ils bénéficieraient actuellement. Sur ce point, le jeune président est assuré d’un soutien important au Congrès, où la droite s’est imposée aux législatives de mars. Jusqu’ici, la FARC n’a même pas atteint les 0,5 % de voix nécessaires pour dépasser les dix sièges parlementaires octroyés par l’accord.

Pour le moment, M. Duque se montre toutefois disposé à respecter l’accord pour la réinsertion sociale et économique des guérilleros de base. Mais il entend aussi durcir la position gouvernementale dans les négociations avec l’ELN, dernière rébellion du pays.

Enfin, en appelant à réviser cet accord de paix, Ivan Duque se place du côté des victimes, comme le font les opposants au texte depuis plusieurs années, estimant que leur « douleur » n’est pas prise en compte. Et l’indemnisation des victimes par les FARC, constituée de leurs fonds et de leurs biens, apparaît insuffisante au nouveau président.

  • Que répondent les FARC ?

De son côté, le parti FARC a appelé Ivan Duque au « bon sens », après son annonce de « corrections » à l’accord de paix. « Il est nécessaire que le bon sens s’impose ; ce que le pays demande c’est une paix intégrale, qui nous mène vers la réconciliation attendue. (…) Contourner cet objectif ne peut être un programme de gouvernement », a réagi la Force alternative révolutionnaire commune, en demandant à rencontrer le nouveau président.

Si une nouvelle phase de négociation s’amorce, débouchant sur un nouvel accord, celui-ci devra être validé par le Conseil constitutionnel. En 2016, la haute juridiction avait estimé qu’il incombait aux seuls juges des tribunaux spéciaux de décider de l’inéligibilité ou non des personnes condamnées.