La transidentité, c’est le « T »  de « LGBT » . « T » pour trans, le nom que l’on donne aux personnes qui ne se sentent pas en adéquation avec le genre qu’on leur a assigné à la naissance et qui décident de changer de genre, ou de sexe. Récemment, des personnes connues ont révélé leur transsexualité, contribuant à briser le tabou autour de cette question ; le comédien et humoriste Océan a été le dernier en date à annoncer son changement de genre, peu après Sandra Forgues, championne olympique de canoë ou encore Valentina Sampaio, première mannequine trans à poser en couverture du magazine Vogue Paris.

La population trans est de plus en plus acceptée et reconnue, mais reste encore victime de discriminations, notamment dans le domaine de la santé. L’Organisation mondiale de la santé vient, quant à elle, de réviser la classification internationale des maladies (CIM-11) : la transidentité ne figure plus dans la liste des troubles mentaux ou du comportement. Cet amendement participe à la dépathologisation des personnes trans, mais pour l’instant, malgré ce type d’avancées, l’accès aux soins médicaux de qualité reste compliqué.

Pour Sébastien Machefaux, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, spécialiste des troubles de l’identité de genre, « le débat va au-delà de la médecine, c’est sociétal ».

De nombreux témoignages attestent de la transphobie qui règne en milieu hospitalier, qu’en est-il, selon vous ?

Sébastien Machefaux : Le corps soignant dans son ensemble n’est, malheureusement, pas hermétique aux possibles représentations négatives qui existent dans la société au sujet des variances de genre. Au-delà de cette problématique sociétale existe celle de la formation.

Les études de médecine n’évoquent pas la dysphorie de genre, et ce même pendant la formation aux spécialités concernées (chirurgie, endocrinologie, psychiatrie). Pour les intervenants spécialisés, la formation est réalisée par compagnonnage par les équipes déjà en place, et par un travail personnel. De ce fait, ou du moins en partie, certains trans ont pu recevoir des réponses médicales inadaptées. Un autre défaut de l’organisation des soins est le manque de soignants spécialisés, ce qui peut engendrer des listes d’attente parfois éthiquement inacceptables.

Les choses évoluent dans le bon sens puisqu’il existe, depuis trois ans, un diplôme interuniversitaire de prise en charge de la transidentité, qui s’adresse à un public soignant volontaire et décidé à se spécialiser dans la problématique.

Doit-on comprendre que les trans subissent les dysfonctionnements et le manque de formation du milieu médical ?

La dysphorie de genre est souvent très évolutive. Par exemple, dans le sens masculin vers féminin, il nous arrive régulièrement de voir en consultation des personnes qui se définissent elles-mêmes comme des « travestis ». Elles se « transsexualisent » progressivement au cours des consultations, puis elles bénéficient de l’hormonothérapie qu’elles nous ont demandée, tout en refusant la vaginoplastie, avant que la demande de vaginoplastie n’apparaisse d’elle-même au cours de la féminisation progressive.

Cette approche médicale plus souple, plus personnalisée, plus adaptée à la demande est relativement nouvelle et très demandée par les intéressés. Parmi les adultes, le taux de regret est très faible (inférieur à 1 %), mais le taux de suicide reste élevé, même après la réassignation hormono-chirurgicale, et ce, malgré un taux de satisfaction très important (supérieur à 95 % dans toutes les études). C’est pour cette raison que les intéressés doivent être accompagnés, précisément par les psychiatres.

Malheureusement, la vision de ce que l’on appelle la « psychiatrisation » de cette problématique n’aide pas les intéressés à avoir confiance en ce corps soignant, alors même que les psychiatres se doivent pourtant d’être les meilleurs alliés, ambassadeurs ou avocats, principalement dans les cas complexes.

Quel est le problème avec la prise en charge psychiatrique des trans ?

Depuis la description du « phénomène transsexuel », dans les années 1960, on a pensé que la psychiatrie était inapte à « corriger » ce processus et que la réponse était médicale : hormonale et chirurgicale. Cela ne fait pas débat. Là où il y a débat, c’est quand la dysphorie de genre en appelle au corps médical.

Les recommandations internationales comme françaises demandent un accompagnement et une évaluation psychiatrique de quelques mois, préalable à cette réponse médicale. Les endocrinologues et les chirurgiens attendent cela des psychiatres. Il existe de nombreux cas de dysphorie de genre sans troubles psychiques associés, comme il existe de nombreux cas de transsexualisme avec des troubles psychiques, qui sont parfois sévères, et le psychiatre a, là, toute sa place.

Les psychiatres ne sont pas d’abord et avant tout des obstacles à la réassignation hormono-chirurgicale. Peut-être était-ce davantage le cas par le passé, mais aujourd’hui nous nous devons d’expliquer la problématique aux autres médecins et d’accompagner les intéressés. Si l’on affirme que la dysphorie de genre ne génère ni souffrance, ni gêne, ni handicap, ou que l’unique raison est le rejet sociétal, le risque est alors de rendre illégitime l’aide médicale, et de remettre en question le remboursement de réassignation hormono-chirurgicale — qui est de 100 % en France, ce qui est une exception mondiale.

Il n’existe donc toujours pas de réponse satisfaisante. Il y a, en revanche, une éducation de la société à faire. C’est un débat légitime mais qui va au-delà de la médecine, qui est sociétal.

Que sait-on des éventuels risques pour la santé liés à la réassignation hormono-chirurgicale ?

Les hormones modifient les équilibres de manière plus ou moins irréversible. Par exemple, les hormones féminisantes augmentent les risques cardiovasculaires. Bloquer la testostérone peut induire des dépressions et, chez certains patients, le risque suicidaire qui peut s’accroître. Inversement, les hormones virilisantes peuvent, quant à elles, favoriser une manie, qui correspond à un état d’excitation pathologique ou à un épisode psychotique, surtout chez des personnes prédisposées et/ou qui présentent d’autres facteurs de risque, comme la consommation de cannabis.

Au Canada, aux Etats-Unis, en Australie, en Angleterre, il existe des « gender clinics », mais pas en France…

L’idéal serait vraiment qu’il existe plusieurs gender clinics en France. Des lieux de soins spécialisés pensés autour de l’intéressé, où il y consulterait les différents spécialistes, avec un secrétariat unique, un infirmier référent coordonnateur des soins, un travailleur social, un juriste, des moyens spécifiques alloués et donc un délai d’attente réduit, une expertise médicale accrue… En attendant, il faut absolument communiquer sur ce qui doit être mis en place en matière d’optimisation des soins, de raccourcissement des délais, d’enseignement, ou encore de préservation de fertilité.