Cela ressemble à un jeu vidéo en réalité virtuelle. Casque sur la tête, on se déplace dans un laboratoire, entre béchers et éprouvettes. Il y a une explosion à contrôler, une voix off transmet des indications. Divertissement ? Non, apprentissage. Lancée par une jeune équipe d’informaticiens sénégalais, l’application OwnLabs veut révolutionner la façon dont on fait de la science dans les collèges et lycées africains.

« Ce qu’on propose, c’est que les étudiants, équipés ou non d’un casque de réalité virtuelle [l’application peut fonctionner sans, en utilisant simplement un smartphone] puissent avoir un laboratoire dans la poche, explique Abdou Khadre Diop, 23 ans, qui dirige la start-up tout en étudiant à l’Ecole supérieure polytechnique de Dakar (ESP). Un laboratoire virtuel dans lequel ils pourraient produire toutes les expériences de leur programme scolaire en biologie, chimie et physique, afin qu’ils ne soient pas simples spectateurs mais acteurs de la science. »

Créée en 2017 par cinq camarades, Abdou Khadre Diop, Cheikh Abatalib Diassé, Thierno Diop, Moustapha Diop et Serigne Mbacké Coly, OwnLabs est né d’un constat simple : l’absence de travaux pratiques dans le cursus scolaire sénégalais. A l’origine du projet, une anecdote révélatrice. « Une amie est venue chez moi. J’avais mon multimètre [appareil de mesures électriques] sur la table et elle m’a demandé ce que c’était. Elle était en informatique à l’ESP et avait fait un bac scientifique, mais elle n’en avait jamais touché », se souvient Abdou. Rapidement, l’équipe se rend compte que beaucoup de leurs camarades n’ont vu d’expériences chimiques et physiques que sous forme de schémas tracés à la craie au tableau.

« L’Etat n’a pas les moyens de fournir du matériel à un nombre croissant d’élèves, poursuit l’étudiant. On a voulu remédier au problème, mais, sachant qu’un laboratoire coûte environ 15 millions de francs CFA [près de 23 000 euros], on a cherché un autre moyen. La vidéo n’est pas assez réaliste pour comprendre un phénomène physique. Le premier réflexe, c’est de toucher, manipuler, interagir. La réalité virtuelle permet de se tromper pour apprendre. »

Prix Orange et Ericsson

L’équipe travaille jour et nuit pour donner vie à son laboratoire virtuel. Les jeunes informaticiens formalisent toutes les expériences du programme sénégalais, de la synthèse de l’eau à la saponification en passant par le glissement d’un solide sur un plan incliné. Ils créent une vue détaillée d’une cellule animale, modélisent les composants ou les achètent à des banques de données. « C’est dur de bosser sur le projet en même temps que l’école. On a des travaux à rendre et il y a beaucoup de zéros qui tombent ! », lance Abdou.

Mais en octobre 2017, leurs efforts paient. OwnLabs gagne le Prix Orange de l’entrepreneur social, décrochant 5 millions de francs CFA et un accompagnement juridique qui leur permet de breveter le logiciel. Puis tout va très vite. Le même mois, ils sont au Digital Show de Dakar. En décembre, sur 1 444 équipes universitaires représentant 107 pays, ils sont parmi les quatre finalistes invités aux Ericsson Innovation Awards, à Stockholm. Le visa pour la Suède, difficile à obtenir, nécessitera un mot du gouvernement. « Trois jeunes Africains qui vont en Europe pour un concours technologique ? Encore beaucoup de monde trouve ça louche », souffle Abdou.

Arrivés avec deux jours de retard, épuisés, ils impressionnent malgré tout le jury. Face à eux, des adversaires coriaces. Des Américains de Stanford ont créé un algorithme pour détecter les intox médiatiques. Des Chinois proposent un service basé sur la blockchain pour assurer des produits en ligne. Des Indiens ont élaboré un nouveau système de politique de confidentialité. Mais OwnLabs convainc et remporte les 25 000 euros du prix. Leur succès remonte jusqu’au sommet de l’Etat et le président Macky Sall fait un communiqué pour célébrer leur victoire. Puis, au salon Viva Tech de Paris, en mai, ils sont abordés par Google, EDF et de nombreuses universités qui leur proposent des partenariats.

Ambition panafricaine

Le projet n’en est qu’à sa phase de test. « Nous espérons proposer une première version gratuite dès septembre », affirme Abdou. Il suffira alors de posséder un smartphone pour télécharger l’application. Quant à l’expérience en réalité virtuelle, il faudra attendre une version payante, quelques mois plus tard. « Nous allons proposer à des entreprises et à des ONG un système de sponsorisation d’élèves ou d’écoles, explique Abdou. Elles pourront louer des kits de réalité virtuelle pour 5 500 francs CFA par mois et par personne [8,40 euros]. Nous étudions aussi la possibilité de créer des salles informatiques dédiées dans certains établissements. »

L’équipe souhaite que tous les élèves sénégalais puissent, dans quelques années, avoir accès à des expériences au plus près de la réalité. « Puis nous étendrons le modèle à tout le continent, car les besoins sont importants, appuie Abdou. Mais avant de m’occuper des études des autres, il faut que je réussisse les miennes. » Dans un mois, c’est les examens, et l’équipe à quelques zéros à rattraper.