Supporteurs anglais le 18 juin à Volgograd. / NICOLAS ASFOURI / AFP

D’un doigt, il mime d’abord un couteau sous la gorge. Puis rigole pour de bon. « A force d’écouter la télé ou la radio anglaise, on pouvait presque craindre de mourir ici », s’esclaffe l’armoire à glace Martin Johns, heureux de prouver le contraire. Lundi 18 juin, ce responsable hôtelier quitte le stade de Volgograd au sein des trompettes anglaises. Pour leur premier match du Mondial, les « Three Lions » viennent de battre de justesse la Tunisie (2-1), sur un doublé d’Harry Kane.

Les supporteurs anglais, eux, ont surtout vaincu les préjugés. Enfin, ceux qui ont osé le déplacement : soit à peine 5 000 courageux, bien moins que d’ordinaire lors des grandes compétitions internationales. Il faut dire qu’ils « se sentaient un peu nerveux », reconnaît David Martin, employé dans la marine marchande.

Disons que le contexte incitait peu aux escapades. Il y a deux ans, lors de l’Euro en France, des rixes avaient éclaté à Marseille entre hooligans russes et anglais. Plus récemment, au mois de mars, autre source de tensions diplomatiques : la tentative d’empoisonnement d’un ancien agent double russe dans un centre commercial d’Angleterre.

De tout cela, Gary Bown a lui aussi fait abstraction. A peine le temps de finir la question que cet entrepreneur lâche son premier verdict de sa visite : « Brillant. Absolument brillant. » Le quinquagénaire a tout le temps porté son maillot blanc de l’Angleterre en ville. Sans « aucun trouble », assure-t-il : « A la veille du match, j’ai passé la soirée dans un pub, puis un moment de partir pour mon hôtel, des Russes m’ont aidé à appeler un taxi et m’ont même payé le trajet ! »

Un homme déguisé en lion accourt pour un nouveau tour de chant : « Ne me ramenez pas à la maison, s’il vous plaît, ne me ramenez pas à la maison ! Je ne veux pas retourner au travail, je veux rester ici boire toute votre bière. » La chanson avait déjà scandé les matchs de l’Euro 2016 en France. Là voici donc promise, en dépit des pronostics les plus pessimistes, à un nouvel avenir en Russie.

Chéchia de Tunisie

Derrière les cages, les plus téméraires auront chanté torse nu, et tant pis pour ces fichus moustiques que la municipalité de Volgograd rêvait pourtant d’éradiquer avant le Mondial ! Un God Save the Queen pour se chauffer la voix. Avant des « England ! England ! » plus répétitifs, au gré des roulements de tambour. Accrochés à la tribune, des croix de saint Georges en provenance d’un peu tout le pays : Rochdale, Wolwerhampton, Portsmouth, liste très loin d’être exclusive.

Les sujets de Sa Majesté savent aussi huer, sus au fair-play ! Leurs sifflets voulaient instiller l’angoisse du tireur avant le penalty, mais sans succès : le Tunisien Ferjani Sassi réussit malgré tout à égaliser en première période (35e minute, 1-1) après l’ouverture du score d’Harry Kane (11e minute, 1-0). Les clameurs reprendront de plus belle dans le temps additionnel : deuxième but de Kane, celui de la victoire, fêté comme il se doit près du poteau de corner.

Quelques heures encore avant le match, on commençait pourtant à se languir. Longtemps, aucun supporteur anglais ou si peu à l’horizon… Une Coupe du monde sans eux ? L’espace de quelques heures, la mauvaise blague a parcouru l’allée des héros, la rue de la paix, l’avenue Lénine et d’autres.

Paradoxalement, quoique moins nombreux en tribunes, les supporteurs tunisiens ont davantage arboré leurs drapeaux dans les rues du centre-ville. Oussama Ghorbel et son frère ont même prévu les chéchias, couvre-chefs traditionnels. L’ingénieur vit maintenant à Paris, son frère, toujours à Tunis. « Une Coupe du monde, ça permet aussi au peuple de voyager sans vraiment voyager. Maintenant, je pense qu’ils peuvent situer la Tunisie sur une carte. » Et l’Angleterre dans les tribunes d’un stade, aussi.