Sepp Blatter et Vladimir Poutine, le 2 décembre 2010. / Kurt Schorrer / AP

« C’est avec une certaine émotion que je vais assister à ma onzième Coupe du monde. » Extatique, le Suisse Sepp Blatter a confirmé au Monde son arrivée en Russie, mardi 19 juin, pour suivre plusieurs matchs du Mondial 2018. L’ex-président de la Fédération internationale de football (1998-2015), 82 ans, est l’invité de marque de Vladimir Poutine, dont il est proche depuis l’attribution du tournoi planétaire à son pays, en décembre 2010.

A l’époque, l’Helvète avait été un fervent partisan de la candidature russe. Soucieux de « rassembler les deux grandes puissances mondiales », il avait vainement milité pour que les Etats-Unis gagnent le droit d’organiser l’édition 2022. Las. Le Qatar avait enterré ses rêves de décrocher, un jour, le prix Nobel de la paix. En décembre 2015, M. Poutine avait d’ailleurs demandé à ce que cette distinction soit remise à son ami Blatter. « Il a fait un travail considérable pour le football mondial. Sa contribution dans le domaine humanitaire est colossale », avait alors déclaré le président russe.

Le maître du Kremlin voulait alors défendre celui qui venait d’être suspendu pour huit ans par la FIFA, dans l’affaire du versement des deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) fait, en 2011, à Michel Platini, lui-même banni quatre ans. Entre-temps, l’ex-patron du foot mondial a vu sa radiation réduite à six ans puis confirmée, en 2016, par le Tribunal arbitral du sport. C’est donc avec le statut d’un monarque déchu et écarté des affaires du ballon rond que Sepp Blatter arrive en Russie.

Dès octobre 2017, l’octogénaire avait confirmé son intention de répondre favorablement à l’invitation de Vladimir Poutine, avec lequel il converse en allemand. A l’origine, il envisageait de se rendre au match d’ouverture Russie-Arabie saoudite, le 14 juin, mais ses récents ennuis de santé l’ont contraint à revoir ses plans.

« Cela aurait dérangé mon successeur que j’assiste au match d’ouverture », relève l’ex-patron du foot mondial

Selon son porte-parole, Sepp Blatter devrait rencontrer Vladimir Poutine avant d’assister, mercredi 20 juin, au match entre le Portugal et le Maroc, au stade Loujniki de Moscou. Deux jours plus tard, le Suisse se rendra à Saint-Pétersbourg pour la rencontre Costa Rica-Brésil. Au terme de ce séjour de trois jours, il retournera à Zurich, où il réside, près du siège de la FIFA.

Si la Fédération internationale n’a pas officiellement réagi à la visite de son ancien patron controversé, nul doute qu’elle ne ravit guère l’Italo-suisse Gianni Infantino, président de l’instance depuis février 2016 et qui briguera un deuxième mandat, en juin 2019. Le torchon brûle entre les deux hommes depuis qu’un rapport d’enquête diligenté par la FIFA a conclu, au printemps 2016, que M. Blatter et ses deux lieutenants, le Français Jérôme Valcke et l’Allemand Markus Kattner, se seraient partagé, de 2011 à 2015, 80 millions de dollars (70 milions d’euros) en « augmentations de leur salaire annuel, bonus liés aux Coupes du monde et autres avantages ». Ce que le dirigeant suspendu conteste.

« Cela aurait peut-être dérangé mon successeur si j’avais insisté pour aller au match d’ouverture et être en contact avec toutes les fédérations membres de la FIFA, dit le patriarche, à l’aise dans son rôle de trouble-fête. Et comme la FIFA n’aurait pas eu la décence de m’inviter au congrès [organisé à Moscou, le 13 juin], alors cela aurait créé une situation inconfortable. »

Une provocation

La visite de Blatter peut être perçue comme une provocation par son successeur, désireux de faire oublier les scandales de corruption qui ont miné l’institution, ces dernières années.

Moqueur, un ancien collaborateur de Blatter préfère ironiser avant le séjour en Russie de son ex-patron, qui a toutes les chances de passer relativement inaperçu : « Quel événément... Cela intervient au moment de la visite du pape à Genève... On va parler de Blatter, les chaînes de télévision vont s’arracher pour l’interviewer... »

Depuis la tornade judiciaire initiée par les autorités américaines, en mai 2015, l’octogénaire n’avait presque plus quitté la Suisse, où il fait l’objet d’une procédure pénale dans l’affaire des deux millions et pour un contrat de droits de télévision signé, en 2005, avec l’Union de football des Caraïbes.

Connu pour avoir défendu le réalisateur Roman Polanski, son avocat, Lorenz Erni, lui avait déconseillé de se rendre à l’étranger afin d’éviter une extradition aux Etats-Unis. « Aussi longtemps que les Etats-Unis avaient mis le grappin sur la FIFA, on m’avait dit : “Restez en Suisse, il ne vous arrivera rien” », glisse l’ex-patron du foot mondial.

Cette menace ne plane pas en Russie, où Sepp Blatter bénéficie du soutien et de la protection de Vladimir Poutine. C’est d’ailleurs à Saint-Pétersbourg, en juillet 2015, que le Suisse avait effectué sa dernière visite à l’étranger en tant que président de la FIFA, à l’occasion du tirage au sort des qualifications pour le Mondial 2018.