Thierry Marszalek, au deuxième rang, troisième en partant de la gauche, en 2013 à Clairefontaine. / ERIC FEFERBERG / AFP

De son propre aveu, Thierry Marszalek, 51 ans, est un « homme de l’ombre ». D’ailleurs, on ne le voit presque pas à Istra, où l’équipe de France a établi son camp de base lors la Coupe du monde en Russie. D’une discrétion légendaire, l’analyste vidéo vit pourtant actuellement son 6e Mondial avec le staff des Bleus. Dans ses malles, il a entreposé son matériel constitué « de caméras, d’un drone, d’ordinateurs, d’écrans, de moniteurs, d’une multitude de câbles et d’adaptateurs divers ».

Attentif au moindre détail depuis qu’il a trouvé « le disque dur de son serveur endommagé » en arrivant en Corée du Sud, lors de la Coupe du monde de 2002, Marszalek est chargé au quotidien, avec son collègue Eric Dubray, de « collecter un maximum d’informations et de données » sur les Tricolores et leurs adversaires. « A l’aide de ces informations, nous allons constituer des dossiers, des montages, qui vont être destinés dans un premier temps au staff et dans un deuxième temps aux joueurs », expliquait-il, en avril, dans son grand bureau baigné de lumière, au centre national du football de Clairefontaine (Yvelines).

« 14 000 matchs » archivés

Dans les locaux de la Direction technique nationale de la Fédération française de football (FFF), Marszalek n’est pas peu fier de montrer son imposant serveur, de la dimension d’une gigantesque armoire, où sont archivés « 14 000 matchs » depuis 1988 et toutes les séances d’entraînement des Bleus depuis 2006. Il est d’ailleurs à l’initiative de l’installation de 26 caméras à Clairefontaine, avant l’Euro 2016, et contrôlables à distance.

A la tête du pôle audiovisuel de la FFF (7 salariés) depuis 1997, Marszalek visionne en moyenne « 10 matchs par semaine », jongle avec les logiciels de montage et suit une soixantaine de joueurs à qui il adresse des séquences thématiques. Durant les matchs des Bleus, il capte les données depuis les tribunes, « analyse en direct », et se tient prêt à fournir des images au staff et aux joueurs à la mi-temps.

« Les services d’analyse vidéo sont très présents, notamment dans les grands clubs européens. Les joueurs aiment faire le lien entre la vidéo et les statistiques pour visualiser les interprétations possibles : il y a le positionnement, le jeu sans ballon. L’idée, c’est de leur apporter des éléments, développe-t-il. Griezmann ou Lloris sont, par exemple, très friands de vidéos. Je me souviens que Thuram m’avait demandé des infos sur les coups de pied arrêtés des îles Féroé, 200e au classement FIFA. Là, tu te dis que le mec est un grand pro. »

Avant la Coupe du monde en Russie, ce titulaire d’un DUT et d’un BTS informatique a planifié le travail des observateurs chargés de superviser les adversaires des Bleus, tout en rassemblant une masse impressionnante de données sur les 31 nations qualifiées pour le tournoi. « L’analyse vidéo est un domaine très chronophage, assure-t-il. Le montage de vingt minutes présenté aux joueurs par le sélectionneur lors des rassemblements, cela représente cent à cent cinquante heures de travail. Entre le visionnage des matchs, la discussion avec le staff, le prémontage, le montage définitif, l’habillage… »

Après un passage au bataillon de Joinville, où un certain Roger Lemerre a œuvré comme patron de l’équipe de France militaire avant de devenir sélectionneur des Bleus (1998-2002), Marszalek a commencé à faire des statistiques pour les Tricolores lors de l’Euro suédois de 1992, sous les ordres de Michel Platini. Cinq ans plus tard, Aimé Jacquet faisait appel à lui dans l’optique du Mondial 1998. Sans l’intégrer pleinement au staff. « Je ne suis pas champion du monde car je ne faisais pas officiellement partie du staff, fait remarquer le quinquagénaire au regard azur. J’ai été intégré en 2000 lors de l’Euro, et je suis donc champion d’Europe. »

« Lien de confiance »

Depuis deux décennies, 6 sélectionneurs successifs ont fait appel à ses services. Le natif de Corbie (Somme) a l’avantage d’avoir côtoyé les deux derniers patrons des Bleus, Laurent Blanc (2010-2012) et Didier Deschamps (2012), lorsqu’ils étaient joueurs. « Même si le haut niveau est une affaire de détail, mon travail ne représente qu’un pourcentage infime de la performance des joueurs, reconnaît Marszalek. Mais on ne fait pas ce métier sans avoir un lien de confiance. Didier sait que tous nos échanges restent confidentiels. »

Dans son bureau, semblable à un musée de l’histoire récente du foot français, il a d’ailleurs accroché au mur un maillot de Deschamps, frappé du numéro 7. Quand on a lui a soumis des idées de titre pour cet article à paraître durant la Coupe du monde, Marszalek a tiqué. « L’œil de Deschamps » ne lui convenait pas forcément. « Je suis, certes, dans la culture du détail, mais Didier a l’œil plus avisé. C’est son boulot de voir, estimait-il. Il n’a pas besoin de moi sur le plan tactique. Je ne suis qu’un complément d’info. Il faut savoir rester à sa place. » Si possible dans l’ombre.