Le président américain Donald Trump, 19 juin, au Capitol, à Washington. / ALEX EDELMAN / AFP

Editorial du « Monde ». « Tolérance zéro », la formule a dû plaire au président des Etats-Unis, pour qui l’expression de la force prime sur toute autre forme de vertu. Appliquée à l’immigration illégale, cette politique se traduit désormais par la séparation des familles de sans-papiers. Pendant que leurs parents sont jugés pour leur crime, selon la loi américaine, les enfants, parfois très jeunes, sont encagés dans des centres de rétention.

Une véritable prise d’otages, qui a pour objectif de pousser le Congrès à adopter les mesures extrêmement restrictives en matière d’immigration voulues par Donald Trump. Elle signale aussi aux éventuels candidats au départ de pays d’Amérique centrale en proie au chaos ou à la violence que les Etats-Unis ont renoncé à toute forme d’humanité envers eux.

La mesure choque, y compris parmi les soutiens conservateurs religieux de Donald Trump, alors que son vice-président, Mike Pence, qui ne cesse de brandir sa foi en étendard, n’y trouve rien à redire. Le président a d’ailleurs lâchement et faussement tenté de mettre cette politique sur le compte de son opposition démocrate, avant d’accuser littéralement cette dernière de vouloir livrer son pays au crime organisé.

Profiter de la sidération

On retrouve ici la marque de fabrique de Donald Trump : hystériser un dossier, réduit à une caricature, pour profiter de la sidération qui paralyse ceux qui considèrent que la politique ne peut s’affranchir de quelques principes élémentaires. Pendant la présidentielle, Donald Trump s’était attaqué à l’immigration illégale, mais c’est bien l’immigration tout court qui est désormais la cible du président de la première puissance mondiale, dont l’économie affiche une insolente santé et un taux de chômage historiquement bas.

Baisse drastique du nombre de réfugiés acceptés sur le sol américain, suppression du statut de protection temporaire dont bénéficiaient jusqu’à présent les ressortissants du Nicaragua, d’Haïti, du Honduras et du Salvador, tout est bon pour lutter contre les étrangers qui « infestent » selon lui les Etats-Unis.

Donald Trump veut désormais que le Congrès réduise considérablement le regroupement familial et supprime l’obtention de visas par le biais d’une loterie conçue pour favoriser une plus grande diversité migratoire, tout en lui accordant les fonds pour la construction du mur qu’il souhaite ériger sur la frontière avec le Mexique.

Le président veut en fait ramener les Etats-Unis presque un siècle en arrière, en 1921 précisément, date de l’adoption d’une politique migratoire restrictive, corsetée par des quotas qui favorisaient les pays d’Europe du Nord aux dépens de tous les autres. Elle avait accompagné un recroquevillement américain rompu par l’engagement dans la seconde guerre mondiale, puis par l’instauration sous l’égide de Washington d’un nouvel ordre mondial avec lequel Donald Trump semble décidé à rompre au nom d’un égoïsme obtus.

Le discours anxiogène sur l’immigration a un autre objectif : celui de garder captive la coalition électorale qui a permis au milliardaire de l’emporter de justesse en 2016, pour les élections de mi-mandat, en novembre, comme pour la prochaine présidentielle, en 2020. La stigmatisation du migrant nécessairement dangereux n’est pourtant qu’un baume illusoire pour un électorat blanc condamné à devenir minoritaire, transition démographique oblige. Et les sans-papiers d’aujourd’hui ne sont que les lointains descendants de ceux qui ont fait les Etats-Unis.