Documentaire sur Arte à 23 h 55

NOUS VENONS EN AMIS Bande Annonce (Documentaire - 2015)
Durée : 02:03

Vu du ciel, le décor touche au sublime. En survolant la savane, les ­forêts ou les méandres du Nil Blanc, on ne peut imaginer qu’au sol la vie est un enfer.

En 2011, Hubert Sauper a survolé le Soudan du Sud, au moment où le pays faisait sécession avec la République du Soudan et devenait le 54e pays de l’Union africaine. Le documentariste a posé son ULM amélioré près de villages de cases, de champs pétroliers ou d’églises évangéliques et en a fait un film dur, parfois à la limite du supportable. Tourné à hauteur d’hommes, Nous venons en amis montre des personnages en souffrance et d’autres, souvent dégoulinants de bonnes intentions, qui exploitent leur misère. Si la vision peut sembler manichéenne, l’effet fonctionne : on en ressort groggy.

Contrairement à son précédent long-métrage, Le Cauchemar de Darwin (2004), qui dénonçait l’exploitation intensive de la perche du Nil dans un village tanzanien, le réalisateur autrichien ne s’est cette fois pas lancé dans un réquisitoire. Nous venons en amis est écrit comme une fresque, une succession de rencontres avec ceux et celles qui habitent sur un territoire totalement dévasté par une guerre civile (1983-2005) qui a fait 2 millions de morts et 4 millions de réfugiés. On y voit la survie dans une misère sombre, moite.

A la proclamation de son indépendance, le Soudan du Sud est un pays en lambeaux, pauvre mais riche d’un sous-sol gorgé de pétrole, d’or et d’uranium que les puissances occidentales convoitent.

Hubert Sauper près de son ULM avec lequel il a survolé le Soudan du Sud. / © LE PACTE

Au XVe siècle, les conquistadors espagnols lançaient des « Venimos en paz » (« Nous venons en paix ») aux populations indigènes avant de les massacrer. Six siècles plus tard, c’est également « en amis » que la Chine, au Nord, et les Etats-Unis, au Sud, se sont présentés au Soudan. Mais, à quelques kilomètres des forages, on connaît l’autre réalité : « L’eau n’est plus potable parce qu’ils la mélangent avec le pétrole en creusant des trous profonds, explique un vieux villageois. Tous ceux qui boivent de cette eau finissent par mourir. »

Tableau néocolonialiste

Un jeune Britannique se targue, lui, de faire un job utile en déminant des terrains. « J’ai trois femmes de ménage et deux vigiles armés, annonce-t-il fièrement, avant d’enchaîner les préjugés. Il y a bien une raison s’ils [les Sud-Soudanais] doivent avoir deux cents ans de retard. C’est peut-être ce qu’ils veulent ! »

Le tableau néocolonialiste ne serait pas complet sans une touche de religion. Au Soudan du Sud, terre chrétienne et animiste, des évangélistes américains sont venus s’installer en nombre, distribuant des boîtiers équipés de panneaux solaires pour convaincre les habitants d’écouter le message de la Bible. « Ici, nous sommes au nouveau Texas », assure une évangéliste. « Si tu ne portes pas d’uniforme pour aller à l’école, tu n’es rien », explique un homme à une adolescente vêtue de sa tenue traditionnelle.

Les interrogations que soulève ce documentaire sur l’avenir du Soudan du Sud sont justifiées. En 2013, le plus jeune Etat du monde plongeait dans une guerre civile entre partisans du président Salva Kiir et ceux de son ancien vice-président, Riek Machar.

Même si les deux hommes ont accepté de se rencontrer, mercredi 20 juin à Addis-Abeba, à l’initiative du nouveau premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, la paix n’est pas pour demain. Tous les villages situés près de la frontière qui apparaissent dans ce film ont été détruits.

« Nous venons en amis », d’Hubert Sauper (Fr.-Aut., 2014, 105 min).