Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, le 2 février à Paris. / ERIC PIERMONT / AFP

Xavier Bertrand, 53 ans, est président de la région Hauts-de-France. Plusieurs fois ministre du travail des gouvernements Fillon, il a quitté le groupe LR en 2017.

La réforme de la SNCF « A présent que la loi est votée, qu’attend l’usager ? Une meilleure qualité de service. Pour cela, il faut permettre aux régions de prendre la main pour qu’elles puissent pratiquer, disons, entre 10 et 20 % d’ouverture à la concurrence. Dans les Hauts-de-France, je vise la qualité du service. Les gens ne demandent pas à payer beaucoup moins cher, ils veulent pouvoir être convoyés dans de bonnes conditions, que les trains arrivent à l’heure et surtout être respectés. Je vais engager dès l’an prochain l’ouverture à la concurrence. Cela ne veut pas dire que, dès le début, des trains circuleront. Les procédures sont assez longues. Après se pose une question : qui va s’occuper des petites lignes ? Si cela n’intéresse plus l’Etat, de quels moyens disposeront les régions, pour assumer cet aménagement du territoire ? Je ne réclame pas le droit de lever des impôts supplémentaires. Je pense à la part de TVA ou de CSG que les collectivités locales pourraient récupérer afin d’agir. »

Les autres réformes « Il y a des domaines dans lesquels je trouve, honnêtement, que ça va dans le bon sens. Les réformes Blanquer (ministre de l’éducation nationale), chapeau ! Les réformes Pénicaud (travail), bien, même si on pourrait faire plus. La perception internationale de la France est bonne, cela rejaillit sur le pays et sur la région des Hauts-de-France. Le vrai sujet, et je ne veux pas avoir la dent dure, c’est quel sens donne-t-on à tout cela ? Ma crainte, c’est qu’on évolue vers un système à l’anglo-saxone. Je pense que, au fond, la conviction du président de la République est que dans l’océan de la mondialisation et de la modernité, il n’y a que le bateau anglo-saxon qui peut s’en sortir. Il est plus léger, il est peut-être plus manœuvrable, mais ce n’est plus le modèle français. »

La question sociale « Je remarque que deux choses ont disparu de ce qui figurait au cœur de la campagne d’Emmanuel ­Macron. D’un point de vue politique, un peu de bienveillance a disparu. Mais surtout le “en même temps” s’est complètement effacé. Or c’est le “en même temps” qui correspond le mieux à l’esprit français. Cette politique, je ne la sens pas équilibrée. Or, avant même l’efficacité économique, il faut rechercher l’acceptation démocratique. Supprimer l’impôt sur la fortune, oui. Mais, en même temps, il fallait prendre une première mesure pour alléger les deux premières tranches de l’impôt sur le revenu. Ou alors rétablir les heures supplémentaires défiscalisées. L’une de mes angoisses est qu’on ne parle plus aux classes moyennes, à ces “milieux de cordée” qui aujourd’hui travaillent à temps partiel, avec un salaire jusqu’à deux smic. Ceux-là n’y arrivent pas. Le chômage peut bien baisser, cela ne les touche pas. Si ces classes moyennes divorcent d’avec la démocratie, c’est-à-dire si elles s’abstiennent ou si elles votent un jour pour les extrêmes, c’est terminé, notre pays basculera comme l’Italie l’a fait. On invoque les questions identitaires, sécuritaires, mais la problématique du pouvoir d’achat n’est pas une vaste blague. Ces gens-là se serrent la ceinture tous les jours, et quand leurs enfants font des études dans une ville différente de celle où ils habitent, ils se saignent parce qu’ils doivent trouver entre 700 et 1 000 euros par mois. Il faut agir sur le pouvoir d’achat. J’espérais qu’avec le projet de loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises], la donne allait vraiment changer sur l’intéressement et la participation, or c’est juste la question du forfait social qui est en train de bouger. »

La pauvreté « La question n’est pas de savoir s’il y a trop d’aides sociales ou pas assez. La question est de savoir si les gens en état, en âge, en capacité de travailler ont le droit de refuser de le faire. La France ne peut pas rester ce pays où l’on peut refuser cinq offres d’emploi sans qu’il se passe rien. C’est cela, la clé. Et cela demande un peu plus de courage politique que de balancer dans le salon Vert de l’Elysée une phrase sur « le pognon de dingue versé dans les minimas sociaux » qui fait plaisir à une partie des Français mais qui ne règle rien. En premier, il faut tendre la main. Dans les Hauts-de-France, nous avons mis en place l’opération « Les voitures à deux euros ». Si vous êtes chômeur, que vous n’habitez pas en ville et que vous n’avez plus de voiture, vous avez la possibilité, pour deux euros par jour, d’en emprunter une durant toute votre période d’essai et un peu plus. Et cela marche. »

Les corps intermédiaires « Le président de la République ne nous parle pas, il ne nous écoute pas. Vous pourriez poser la question à Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, il vous dirait la même chose. Je ne fais pas de psychologie de comptoir, mais le président de la République a été élu parce qu’il n’a écouté personne. Donc, il se dit que, pour réussir, il ne faut écouter personne. Moi j’ai tendance à considérer que, dans un pays comme la France, on ne peut pas réussir en n’écoutant personne. Il pense peut-être que nous, présidents de région, sommes de gros nuls, mais nous pouvons aussi avoir des idées et des initiatives. Mettre Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, et M. Berger dans le même sac, ce n’est pas une erreur, c’est une faute… Un pays ne se dirige pas à deux personnes : le président de la République et le secrétaire général de l’Elysée, ni avec 30 ou 40 technocrates très compétents. »

L’avenir de la droite « Je ne regrette pas d’avoir quitté le parti Les Républicains en décembre 2017 et je ne suis pas surpris par ce qu’il vient de s’y passer. Celui ou celle qui voudra incarner une alternative républicaine à M. Macron devra savoir rassembler très largement. La France ressemble à un élastique sur lequel on a beaucoup tiré et qui risque de craquer si on continue comme ça. Le modèle français n’est pas mort. La France est un pays dans lequel on aimerait qu’il y ait du lien entre les Français et les territoires, du liant entre les gens qui ont des moyens et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui vont bien et ceux qui ne vont pas bien, entre ceux qui habitent à Paris et d’autres à Maubeuge. M. Macron organise une sorte de confrontation avec les extrêmes. C’est très dangereux parce que si l’on accentue les fractures, je suis convaincu qu’on ira vers un vrai péril démocratique. C’est pourquoi je me bats comme je le fais dans ma région. »